Menu
Libération
Photo

Photo / Lignes de vie, lignes de front

La photographe Lynsey Addario, qui a couvert les guerres en Afghanistan et en Irak, témoigne notamment de la difficulté d’allier grands reportages et vie privée.

Khalid, Afghan de 7 ans. (Photo L. Addario)
Publié le 08/04/2016 à 17h11

Une femme photographe de guerre, c'est plutôt rare. Pourtant, Lynsey Addario n'est pas la première photojournaliste à arpenter les lignes de front - on pense à Lee Miller ou Christine Spengler. Son livre entretient la légende du reporter en milieu hostile, version treillis et Nike sous la burqa. La photographe, génération 11 Septembre, retrace son parcours de fille de coiffeurs devenue l'œil des plus grands journaux comme le New York Time ou Time, dans des pays aussi peu hospitaliers que l'Afghanistan, le Pakistan, la Libye ou l'Irak : «La guerre contre la terreur a créé une nouvelle génération de reporters. Plus l'injustice de ces interventions militaires apparaissait flagrante, plus nous nous sentions investis d'une mission», écrit-elle. Le sous-titre ronflant de l'ouvrage, Mémoires d'une photographe de guerre du XXIsiècle, laisse entendre qu'à 42 ans, Lynsey Addario est prête, soit pour la tombe - forcément, du fait de son métier, elle a signé un premier testament en portant un gilet pare-éclats - soit pour de nouvelles aventures. Elle est lauréate du prix MacArthur  2009, mère d'un fils, et son biopic, tourné par Steven Spielberg, aurait Jennifer Lawrence dans le rôle-titre. La consécration pour une femme qui s'est accrochée à son destin, harponnée par une bougeotte insatiable.

Dans ce manuel de survie, derrière l’appareil photo, on retient la rigueur et la simplicité. De Westport (Connecticut) où elle est née, à Londres où elle vit actuellement, Lynsey Addario raconte la conquête de son métier comme un graal. Pour y arriver, elle a dû faire ses preuves à chaque reportage - les photographes sont indépendants - et se séparer d’un grand nombre d’amants. Née en 1973 dans une famille modeste, la vie bascule quand son père quitte sa mère et le salon de coiffure pour vivre avec Bruce. A 13 ans, il lui offre son premier appareil photo. Etudiante, elle voyage beaucoup et décroche un reportage sur les transsexuels de New York. Puis, quand l’islam devient une obsession pour les Américains après 2001, Lynsey Addario s’impose, car elle a déjà travaillé en Afghanistan. Elle couvre alors les conflits de la décennie, ce qui lui vaudra d’être enlevée deux fois, en Irak et en Libye, d’être victime d’un accident de voiture et de voir deux de ses chauffeurs mourir. En 2007, le reportage sur la vallée de Korengal (Afghanistan) est un moment fort. A la recherche des victimes civiles de la guerre, elle photographie Khalid, un petit Afghan blessé. Le journal censurera la photo sous pression de l’armée américaine.

Dans cette vie «d'oxymores», il y a des anecdotes savoureuses : le collègue qui la plante parce qu'elle est une femme, le whisky dans les bouteilles d'eau au Pakistan, les histoires d'amour foireuses, le karaté contre les mains baladeuses, les tampons hygiéniques proposés par les Libyens après son enlèvement ou la salle à manger de l'hôtel Four Seasons en Jordanie, véritable «"Who's Who" de l'adultère» des journalistes. La vie, somme toute, derrière les images de la douleur des autres.