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Lore Krüger, regard militant révélé

Une expo dévoile à Paris dix ans d’images réalisées par une femme juive qui a fui l’Allemagne nazie.

Variations sur un masque. (Photo succession L. Krüger)
Publié le 10/04/2016 à 17h11

Lors d’un reportage sur les anciens combattants de la guerre d’Espagne, en 2008, Irja Krätke et Cornelia Bästlein pénètrent dans l’appartement de Lore Krüger, 93 ans, près de la Karl-Marx-Allee, à Berlin. Elles tombent sur une jungle de plantes vertes ainsi qu’une mine de tirages, dans une valise. Antérieures à la Seconde Guerre mondiale, ces photos témoignent de la vie bouleversée de Lore Krüger par la montée du nazisme. Dès ce jour, les deux commissaires se promettent de montrer au public les trésors cachés de leur auteure.

Née en 1914 à Magdebourg, Krüger perd son poste de sténographe en 1933 parce que juive. Elle quitte l'Allemagne pour l'Angleterre où elle doit se contenter d'un poste dans les services. Mais ce qu'elle veut, elle, c'est faire des photos. S'ensuit un exil à Majorque où elle rejoint ses parents, puis à Paris où elle suit les cours de Florence Henri. Dans l'effervescence artistique de cette époque, elle apprend à «appliquer l'art dégénéré à la photographie», écrira-t-elle dans ses mémoires. Opposée au nazisme et au franquisme, elle rencontre son mari, combattant des Brigades internationales. En 1941, Lore Krüger, son mari et sa sœur Gisela atteignent New York où ils resteront jusqu'à la fin de la guerre. Pendant cet exil, Lore Krüger a pratiqué le large éventail de la photographie, du reportage à la nature morte.

Photogrammes

Aujourd'hui, il reste peu de tirages, et l'on ne sait pas vraiment comment ils ont été transportés au cours de ses déplacements successifs. Dans le parcours que le musée d'Art et d'Histoire du judaïsme leur consacre, on retient les images d'un reportage aux Saintes-Marie- de-la-mer, où la photographe, les pieds dans l'eau, s'approche de ses sujets, des vues de Paris - dont une de la statue monumentale l'Ouvrier et la kolkhozienne montrée lors de l'Exposition internationale de 1937 - ou de beaux portraits dont un, magnifique, d'Alberto Giacometti. L'étonnement surgit plutôt devant ses natures mortes et ses photogrammes, précis et délicats. Même si la photographe leur préfère la «triste réalité de la misère». Masques africains, morceaux de cartons et ustensiles de cuisine s'entremêlent en ombres chinoises. Après la guerre, le couple, farouchement communiste, rentre à Berlin pour s'installer en zone soviétique et Lore Krüger arrête la photographie. Elle se consacre à la traduction. Décédée en 2009, après avoir écrit ses mémoires, elle n'aura pas vu l'accrochage de son travail sorti de l'ombre, ni à Berlin ni à Paris.