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Libération
Disparition

Le dernier voyage de Malick Sidibé

Le photographe malien, qui avait immortalisé l'effervescence de la jeunesse des années 60 et 70 au Mali, s'est éteint jeudi.
Le photographe malien Malick Sidibé, à Bamako en 2009. (Photo Philippe Guionie. Myop)
publié le 15 avril 2016 à 14h03

Quelle joie dans ses photos ! Ça swingue, ça twiste, ça rit à gorge déployée. Leur bande-son ? James Brown, les Beatles, Otis Redding, ces musiques qui ont accompagné l'envol de révolutions dans les années 60. Malick Sidibé, mort le 14 avril à Bamako des suites d'un cancer, selon les informations du Quotidien de l'art, fut le chroniqueur d'une exubérante jeunesse, celle du Mali de l'indépendance, des années 60 et 70, qui profitait à plein de sa nouvelle liberté, portée par les espoirs de révolutions panafricaines qui soufflaient sur le continent. Sa photo la plus connue, Nuit de Noël (happy club) (1963) fait rayonner pour l'éternité un magnifique couple saisi en plein pas de deux, têtes réunies, sourire aux lèvres, pieds qui s'envolent. Malick Sidibé était le maître du mouvement. «C'était si gai, si amusant, avait-il confié à Libération en 1995 à l'occasion de sa première grande exposition à Paris, à la Fondation Cartier. Autrefois les jeunes se regroupaient, ils s'amusaient tous ensemble, toutes classes confondues.»

«Plus rapide» que le dessin

Né en 1935 à Soloba, fils de paysant peul, Malick Sidibé conduit, enfant, les moutons aux pâturages. Repéré à l'école de Yanfolila pour ses talents en dessin, il va se former à l'Ecole des beaux-arts de Bamako, à l'époque appelée Maison des artisans soudanais, en 1952, et suit une formation de bijouterie. Embauché ensuite comme apprenti par Gérard Guillat, dit «Gégé la pellicule», dans son magasin studio Photo-Service, il est séduit par le médium, «plus vrai et plus rapide» que le dessin. En 1962, deux ans après l'indépendance du Mali, le Studio Malick ouvre ses portes à Bagadadji, non loin de la grande mosquée.

Comme son aîné Seydou Keïta, actuellement exposé au Grand Palais, Malick Sidibé devient l'un des portraitistes les plus en vue de la ville, mais sort également dans les rues, en reportage, dans les fêtes. «A cette époque, les jeunes étaient motivés, avait-il raconté dans nos pages. Chaque samedi soir il fallait être très élégant, et toute la semaine ils réfléchissaient à leur tenue. Pour qu'on puisse bien te considérer, tout devait être impeccable, et le pli du pantalon si bien acéré qu'avec tu devais pouvoir égorger un poulet !»

 «Il captait l’enthousiasme de la vie»

Impossible de ne pas voir son influence dans les clichés du Sénégalais Omar Victor Diop ou du Camerounais Samuel Fosso ou, plus lointainement, dans les portraits de l'Américaine Mickalene Thomas. «Il a rendu compte de la vivacité, du dynamisme de l'époque, en composant de très belles chorégraphies, juge Hervé Chandès, directeur général de la Fondation Cartier, qui l'a rencontré grâce à son représentant de l'époque, André Magnin, organisateur de l'expo à la Fondation Cartier. Il captait l'enthousiasme de la vie, le plaisir d'être ensemble, ces choses qui sont au-delà de la photographie.»

La réputation du Studio Malick rayonne bien au-delà de Bagadadji, mais il faut néanmoins attendre 1994 et les premières Rencontres de Bamako, imaginées par la photographe Françoise Huguier, pour que son travail gagne une reconnaissance internationale. En 2003, il reçoit le prestigieux prix Hasselblad, premier Africain à être reconnu par cette institution, et en 2007, un lion d'or de la Biennale de Venise pour l'ensemble de sa carrière. A Bamako, en 2001, interviewé par notre journaliste Brigitte Ollier, il avait confié ceci : «Je crois que la photo est la meilleure façon de vivre après la mort.»