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Libération
Plein cadre

Nuit debout, nouvelles vagues

Paris, le 13.04.2016. Sur la place de la République, durant la Nuit debout, un homme couché consulte son portable. (Photo Cyril Abad. Hans Lucas)
publié le 22 avril 2016 à 17h21

Quels films pour les Nuits debout ? Le mouvement du «32 mars», qui est sans doute autre chose qu’un simple «mouvement» au sens que la tradition politique prête à ce terme, a déjà donné lieu à beaucoup d’images. Bien sûr, elles ne sont pas toutes de son côté. Un film se tourne contre lui, dont les caméramans sont cuirassés. La police filme, et du point de vue de la critique, on peut dire que sur ce terrain comme sur d’autres, elle fait du mauvais travail. Quelle meilleure définition d’un mauvais film ? Une continuité sans montage, qui ne se propose rien d’autre que de reconnaître et archiver des visages pour leur apposer une identité, un film fabriqué entièrement contre ses personnages, pour un très petit nombre de spectateurs. Ce très long métrage de fiction est en compétition officielle avec d’autres mauvais films, celui de la télévision avec ses rôles prédéterminés, et celui, resté pour l’instant à l’état de synopsis, de la «gauche identitaire» au pouvoir, selon sa nouvelle et heureuse dénomination.

Les événements de ces derniers jours constituent en eux-mêmes la critique de ces films-là. Ils leur opposent un montage par convergence d’actions variées et rapides, qui multiplie des personnages sans identité fixe, et fabriqué à l’usage de tout le monde. Quant aux films nés dans ces conditions, la force des choses les contraint à la libre expérimentation.

On a pu voir, une nuit sur la place de la République à Paris, de courts films projetés sur un morceau de toile battu par le vent, avec sa force primitive. Des ciné-tracts, selon l'absence de règles d'un genre qui a brillé d'un certain éclat en Mai 68. L'un deux, arrivé de l'université mobilisée de Paris-VIII, Travaillez travaillez, se composait de cartons colorés et de visages peints : «Jeunesse entends-moi/Tu ne rêves pas en vain.»

A l’évidence, le mode principal de diffusion, et avec lui la forme des interventions audiovisuelles de Nuit debout, reste Internet. Destinées à être vues et émises de partout, des vidéos ambulantes se passent le relais d’une chaîne d’informations anarchique. On a pu voir se tourner des «directs» de plusieurs heures, points de vue simultanés dans les assemblées générales ou opérateurs sillonnant les manifs, sauvages ou non. Pour abandonner la tâche de traquer les visages au film de la police, certains de ces plans-séquences ne montrent que le pavé enfumé, laissant à un chœur de voix off le récit des faits, une bonne performance audiovisuelle en état d’urgence. Sur Vimeo, YouTube, Facebook ou Periscope, des petits morceaux de réel prolifèrent, sans autre dénominateur commun que le désir d’opposer à l’image unique que le triple mauvais film policier, télévisuel et gouvernemental tente d’écrire quelque chose de plus réaliste : de simples plans sur la comète.

Autre chose donc, qu’un futur fonds d’archive, qu’un fil d’informations, ou qu’une nouvelle statue de la République en numérique. Autre chose aussi que la photogénie du mouvement. On commence à voir à quel point nos corps se confondent avec de petites machines à regarder, enregistrer, émettre. A chercher dans quelles directions il est possible de s’approprier ces moyens portatifs de productions, d’en tirer autre chose que de la bonne image, mais de les entrelacer à l’action, à les confondre avec elle. Tous ces films sont en effet bien autre chose que des films. Mais puisque ces bouts d’images et de sons n’ont pas besoin de redevenir du «cinéma» pour agir, c’est donc au cinéma de les rejoindre, sous peine de ressembler de plus en plus à l’ennuyeux film de la police.