Cette année, le festival Circulation(s) empreinte chemins de traverse et autoroutes de l’information. Pour la troisième année, le festival de la jeune photographie européenne se promène au CentQuatre avec des expositions gratuites dans la nef Curial et la halle Aubervilliers. Pour la première fois, les salles des ateliers et le château d’eau sont soumises à péage : une somme modique (3 et 5 euros) pour soutenir ce jeune festival populaire.
Photo Camille Sonally
La programmation 2016 ancre les 51 jeunes photographes sur une cartographie qui part du collage et se répand aux réseaux sociaux. Au carrefour du numérique, Circulation(s) a choisi la voie rapide. L’image pulse, s’affiche en RVB et se dissémine en pixels. Elle est variée, ludique, inattendue. Les photographes expérimentent tous les supports imaginables et jouent avec des lunettes 3D, du papier peint, des autocollants, des découpages, des épingles, des piles de téléviseurs, des smartphones pour les gifs…
Cafards
Impossible de s'ennuyer face à toutes ces incarnations de l'image qui tentent de retenir notre attention. Yasena Popova, une jeune Bulgare, a choisi la voie de garage avec sa série Urban Insect : à l'aide de grues, elle déplace voitures, motos et vélos qu'elle photographie par-dessous. Vus ainsi, ils ressemblent à de gros cafards dont on verrait les intestins ou à des phasmes qui sommeillent. Plus loin, dans un coin, on trouve même des tirages contrecollés sur des chariots d'entrepôts. C'est une installation des élèves de l'Ecal (Ecole cantonale d'art de Lausanne) intitulée Skeuomorphic. Comme dans le stock d'un hangar industriel, les images circulent, concrètement et métaphoriquement, sur des véhicules à grosses roulettes. Cette mise en scène figure leur voyage à travers le logiciel de notre mémoire désormais aguerri à la compilation visuelle. D'ailleurs, l'équipe de Circulation(s) a eu la bonne idée de faire fabriquer des jeux de Memory et de dominos avec les séries de certains photographes (Marie Hudelot, Put Put, Sandra Birke…). Histoire de tester notre souvenir et notre résistance à avaler toujours plus de photos sous des formes renouvelées. A être regardé par des milliers d'yeux aussi.
Photo Yasena Popova
Romain Leblanc, par exemple, raille la folie exhibitionniste du selfie avec une tête d'abruti fini. Dans Ma vie est plus belle que la vôtre, il pratique l'autoportrait à outrance ; sur un papier peint, on le voit sur les cabinets, avec sa brosse à dents, arborant des paupiettes de veau, des tartines de chèvre et un sourire niais. Il fait l'amour à l'objectif en basant sa célébrité sur la vacuité quotidienne. Esther Hovers, avec False Positives, s'est intéressée aux caméras de surveillance en photographiant le quartier des affaires de Bruxelles. Chez les passants, elle a extrait des comportements suspects : déplacements trop rapides ou trop lents, pause prolongée. Avec l'œil des caméras sans cesse fixé sur nos vies, on finit par devenir paranoïaque et tous les passants paraissent louches sur les photos de la Néerlandaise. Appliquée à l'architecture, cette aliénation donne Souvenir d'un futur, de Laurent Kronental, une magnifique série sur la solitude et l'absurdité des grands ensembles de la région parisienne.
S’il fallait faire des choix sur les murs du CentQuatre - aussi foisonnants que les pages d’un Tumblr ou d’un Instagram -, on garderait finalement les séries les plus artisanales. Pourquoi cette reconstitution d’un appartement en carton et papiers découpés touche-t-elle soudain ? Comme aurait pu le faire Thomas Demand, Teresa Giannico a échantillonné tous les détails de son intérieur milanais à proximité de la gare de Rogoredo. Avec ces découpes, elle a construit une maison de poupée qu’elle a rephotographiée. A contrario de la tyrannie de l’immédiateté, cette minutie accroche le regard. Comme les corbeilles de fruits en toile cirée de Vilma Pimenoff, trompe-l’œil sucrés.
Photo Vilma Pimenoff
Conteneur
Pareil pour Mindscapes, les collages en petit format de l'Allemande Lilly Lulay. Fabriqués à partir de clichés trouvés, ils racontent une histoire personnelle et abstraite, délicate. Le clou du festival : un studio photo situé dans un conteneur dans la halle Aubervilliers. Tous les week-ends, plusieurs photographes enchaînent des sessions que l'on réserve par Internet. Une façon d'échanger, de partager et de créer, en famille ou entre amis. Une manière, aussi, d'expérimenter l'intense ubiquité de la photographie. Cette fois-ci, en dehors des réseaux sociaux.