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Expo / Weerasethakul, ouate à bijoux

Le cinéaste, palme d’or en 2010, expose, à la galerie Torri à Paris, les clichés oniriques de son quotidien. Douillet et mélancolique.
«The Last Years of the River» (2016), d’Apichatpong Weerasethakul. (Photo Kick The Machine and Torri)
publié le 6 mai 2016 à 17h51

Quand nombre d'artistes vidéastes transforment le white cube d'un musée, ou d'une galerie, en salle obscure avec écran géant et système sonore dernier cri enveloppant, le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, lauréat d'une palme d'or au Festival de Cannes en 2010, fait, lui, le chemin inverse. Il faut dire qu'il a toujours eu un pied des deux côtés, accrochant films et photographies quasiment sur un même plan, au musée d'Art moderne de la ville de Paris où il exposait, en 2009, les prémices de son film Oncle Boonmee…  Il n'est pas venu exposer à la galerie Torri à Paris (1) pour y faire le noir : il fait jour durant la journée, sombre le soir, et même si y brille en continu la lueur artificielle d'une «mandarine», ce puissant spot gélatiné utilisé lors des tournages, l'intensité lumineuse des petits films varie d'heure en heure. L'avantage et le bonheur qu'il trouve dans le format de l'exposition tient aussi à ce qu'il n'a «pas eu  besoin d'équipe pour tourner, ni d'histoire à raconter».

Aux murs défilent des images de roseaux se balançant et bruissants dans le vent devant chez lui, à Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande où Weerasethakul vit dans une maison cernée de nénuphars ; des feux de bengale s’enflammant dans le ciel, suivis à travers des buissons ; puis un dessin animé retraçant, d’un trait tremblotant, un rêve où des espèces de cibles multicolores viennent trouer régulièrement les parois d’un habitacle. Le petit film s’achève (ou débute, c’est une boucle) sur cette drôle d’intrusion d’un essaim d’abeilles ayant décidé de crécher au creux d’une baffle, et qu’il faut bien chasser…

Une scène domestique de la vie sauvage à l'image de l'exposition : Apichatpong Weerasethakul y filme ce qu'il a sous les yeux au quotidien mais qui palpite dans une espèce de rêve éveillé. La preuve avec les photographies qu'il accroche à la même hauteur et dans cette même lumière à peine tamisée que les films : l'une, first light, saisit, au petit matin, une silhouette emmitouflée dans sa couette, tandis qu'au fond, à travers les rideaux plissés, le jour se lève. Une autre montre l'image d'une botte embrasée suspendue sur un fond bleuté crépusculaire au-dessus du Mékong, dont on apprend - le titre (The Last Years of the River) est un indice - qu'un projet d'aménagement territorial pourrait en dévier le cours.

Avec cette expo ouatée et mélancolique, pas feutrée cependant, plutôt inquiète, comme ce qu’on ressent un dimanche soir, Apichatpong Weerasethakul réussit dans cet espace minuscule à faire quelque chose comme une exposition à la maison.

(1) Galerie Torri 7, rue Saint-Claude (75003).