Des mots d'excuse et des (ébauches) de lettres de reproches, des avis de recherche (pour «un pigeon perdu, sans nom, mais de taille normale» ou pour une oreille, dont le propriétaire précise qu'il a bon espoir de la retrouver), un mot laissé à une femme pour la prévenir que «chérie, à l'heure où tu liras ceci, je serai saoul», le tout tracé d'un trait noir, toujours le même, gauche et crispé : les 900 dessins qui tapissent la galerie de l'école des beaux-arts de Toulouse, dans le cadre du Printemps de septembre, permettent de réviser son David Shrigley illustré, qui dans les familles britanniques fait figure de vademecum ou d'indispensable bréviaire. Le grand critique d'art du Guardian Adrian Searle s'est fait tatouer une des pièces (le mot «writing») sur le ventre, à l'endroit de l'estomac, tracé avec ce doigté si caractéristique de l'artiste britannique qui fit son entrée en scène au début des années 90, avec la génération des YBA's (Young British Artists). Il vient d'inaugurer fin septembre, à Trafalgar Square, une sculpture monumentale censée redonner le moral à la capitale du Royaume-Uni après le Brexit. Intitulée Really Good, elle figure un poing serré d'où se dresse un pouce levé très haut, trop même (à 7 mètres) pour que ce doigt ne représente pas finalement un phallus maigrelet et ridé. L'optimisme ainsi brandi devient un peu louche et entaché d'humour noir.
Les dessins de Shrigley sont de même souvent réversibles. Il y a une chose et son contraire, la médaille et son revers. Jamais cruel ni cynique, Shrigley met en scène un petit peuple de personnages à la silhouette loufoque, dépassés par l'absurdité de la vie, ordinaire ou pas (l'un doit essayer de rattraper au vol «un frisbee envoyé par le diable»), mais faisant face tant bien que mal. Le désœuvrement, la glande, les ratages, la difficulté à finir ce qu'on a commencé sont les grands maux qui les afflige («Je croyais que je faisais quelque chose, mais, en réalité, je ne faisais rien», se désole un type les bras ballants). Le dessin est un art qui tient à deux fois rien, et Shrigley fait donc volontiers sien le manque de réussite ou d'ambition de ses créatures : «Ma seule mission est de remplir la page» est-il écrit sur la page, sauf qu'il reste de la place. Il ajoute alors : «On ne vous a pas donné de mission.»
Contrat rempli, mais cela n'a pas été simple. Rien ne l'est d'ailleurs dans le monde de Shrigley, où les corps et les âmes ont peine à se connecter entre eux, voire à l'intérieur d'eux-mêmes. Le cerveau, mécontent de son bras, lui écrit ainsi une lettre pour lui demander de «bien vouloir faire désormais comme il lui dit de faire parce que, contrairement à lui, il est en charge».
Mais chez Shrigley, les requêtes ne reçoivent jamais en guise de réponse qu'un silence poli et angoissant, à la qualité toute métaphysique. Les dessins de Shrigley, versants burlesques des sentences philosophiques des plus grands penseurs, décrivent ainsi les angoisses de l'homme, pauvre mortel vulnérable, qu'incarne ce petit être s'avançant dangereusement vers l'ovale noir de l'entrée d'un tunnel fatidique, celui de son trépas, dirait-on. Il va en fait «chercher plus de vin».