Voir Einstein on the Beach a toujours été un défi. En 1976, à Avignon ou au Metropolitan de New York, le premier spectacle commun de Philip Glass et Robert Wilson a fasciné au point de provoquer des cohues et laissé des foules de curieux dans la rue. En 2012, au Châtelet à Paris, sa troisième production officielle dirigée par Michael Riesman et visible ailleurs au Barbican de Londres ou au Cal Performances de Berkeley, n'a été montrée que six fois. La faute au coût relativement exorbitant de ses décors, l'opéra phare de l'avant-garde américaine d'après-guerre est impossible à rentabiliser, quand bien même il est systématiquement montré à guichets fermés.
Très prosaïquement, on prend donc cette captation réalisée par Don Kent comme une occasion inespérée de jeter un œil, via l'œilleton d'une demi-douzaine de caméras, sur l'une des usines à images les plus mythiques du spectacle vivant de ces cinquante dernières années. Immanquablement, l'expérience est amputée de l'immersivité propre à l'in situ et de la magie du temps réel mais même devant son écran, un émoi survient qui n'appartient ni à la musique de Glass (disponible sur disque depuis des années), ni à la scénographie de Wilson (dont des oripeaux ont été largement développés dans la myriade de ses spectacles ultérieurs), ni aux chorégraphies de Lucinda Childs, mais à la conjonction inexplicable - et, jusqu'ici, inexpliquée - des trois emmêlés. En attendant d'hypothétiques projections dans des salles de cinéma, il est préconisé, pour s'assurer des conditions optimales de réception des émotions, de plonger son salon dans l'obscurité, de pousser le son au maximum et de regarder le spectacle dans sa glorieuse et exténuante intégralité.