Le voilà qui s'élève. Il plane, poussé par une force qui le dépasse. Le plaisir lui arrache un sourire satisfait. C'est une drôle de sensation. Un peu comme au manège, quand l'accélération chatouille du côté du ventre. Ce dimanche 27 novembre, à 21 heures passées, le vainqueur de la primaire vient d'entrer dans une Maison de la chimie en ébullition. La victoire est si totale que les fillonistes en rigolent. Le photographe de Libération, Albert Facelly, s'est placé devant la scène où elle sera proclamée. Il saisit le moment où l'élu se soulève au-dessus de ses fidèles. Le groupe en costumes anthracite est encadré de couleurs vives : les murs dorés, le pull rose fuchsia d'une jeune femme blonde et le bleu azur de la moquette. «La victoire me revient», dira dans un instant le nouveau chef de la droite. Cette image d'apothéose en rappelle d'autres, religieuses ou politiques. Dans le vaste salon de cet hôtel particulier du faubourg Saint-Germain, voici l'ascension de François Fillon. On célèbre la renaissance d'une droite bien élevée, enracinée, un brin mystique. «Empêchez les hommes de peu de foi de déconstruire la nation et de verrouiller les portes de l'histoire […], parlez fort de cet espoir qui est en vous», disait-il à ses disciples, la veille de son triomphe. Sa garde rapprochée acclame l'homme qui n'avait aucune chance. Debout à droite, Camille de Rocca Serra se marre : il est le seul député corse à avoir parié Fillon. A ses côtés, la patronne du syndicat des professions numériques, Viviane Chaine-Ribeiro ne cache pas sa joie. Tout au fond, un jeune barbu ne sourit pas. L'ancien directeur de campagne de Bruno Le Maire, Sébastien Lecornu, bluffé, regarde monter celui qui était mort et enterré. Et puis, il y a ce mystérieux personnage assis, immobile. Il a le regard noir de la Melencolia, célèbre gravure de Dürer. On pense aussi au Serment du Jeu de paume, le tableau de David. Tandis que tous les députés jurent, mains levées, de ne plus se séparer, un seul s'y refuse. A droite du tableau, il reste bras croisés sur son siège. Le boudeur de notre photo, c'est Jean de Boishue, grognard du séguinisme. Fillon à l'Elysée ? Dix ans qu'il y pense et qu'il y travaille. «François» était l'homme dont la droite avait besoin, la vengeance d'une France des hobereaux, maltraitée par le gaullisme et humiliée par le sarkozysme. Pourquoi être si sombre quand sa prophétie semble se réaliser ? «J'aime l'adversité et les temps de pluie», confie-t-il. Pour le premier des apôtres du fillonisme, c'est la fin d'une longue histoire.
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