Menu
Libération
Critique

L’Amérique mutine

L’expo «Pulsions urbaines» campe une scène artistique inventive et frénétique.
publié le 6 juillet 2017 à 19h56

La touffeur arlésienne se charge cette année d’une énergie latino. Pulsées dans les venelles de la ville sous perfusion de cocktails tropicaux, les images d’Amérique du Sud ouvrent des perspectives frénétiques, parfois pop, sur un continent en mouvement. Dans le cadre de l’année France-Colombie, deux expos fouillées explorent cette scène.

«La Vuelta» montre 28 artistes colombiens contemporains pris en étau entre stigmates du conflit avec les Farc et explosion des réseaux sociaux. «Pulsions urbaines», très dense, est constituée de plusieurs centaines de tirages issus d'un fonds privé constitué par Alexis Fabry. Le commissaire sillonne depuis quinze ans le continent pour enrichir la collection de Leticia et Stanislas Poniatowski : «Ils se sont immédiatement montrés intéressés à l'idée d'établir un périmètre pour leur collection. Leticia est argentine et une partie de la famille de Stanislas a émigré au Mexique au début du XXe siècle. Il est le neveu de la romancière et essayiste mexicaine Elena Poniatowska.»

Eclectisme. «Pulsions urbaines» livre une vision kaléidoscopique de la création du continent. Beaucoup d'images, la mémoire ne peut tout absorber : l'œil doit juste aller de surprise en surprise pour goûter l'éclectisme et le raffinement des propositions. Un sublime portrait de Miguel Rio Branco ouvre le bal : une prostituée en justaucorps nommée Mona Lisa, sculpturale et à la peau cuivrée, accueille les visiteurs dans une ambiance clair-obscur. Dans un parcours chapitré, on plonge dans la lumière bleutée des lieux de drague gay à Bogotá par Michel Angel Rojas, on frôle des murs vivants chargés de messages, on rencontre les noctambules des banlieues pauvres de Lima (Nicolás Torres), on fait face à Hulk sur la place du Zócalo à Mexico (Armando Cristeto), on est ébloui par les lumières de Lima la nuit (Jorge Heredia). On frémit surtout devant le visage de Pinochet aux yeux en tête de mort dans un montage célèbre de Fernando Bedoya.

Il y a, dans cette accumulation de clichés, des perles rares. Beaucoup d’œuvres sont grattées, incisées, rehaussées, découpées. «J’y vois plusieurs raisons, précise Alexis Fabry. L’absence de scène photographique proprement dite, dans de nombreux pays, a conduit les photographes à se nourrir des arts visuels, plus largement qu’à la seule photographie… Le manque de moyens, une certaine précarité, a pu les porter également à explorer de nouveaux supports, plus modestes et diffusables, dans un contexte répressif qu’il fallait dénoncer.» L’utilisation de la photocopie et de la ronéotypie au Mexique par les artistes du Grupo Suma, à la fin des années 70 en sont de bons exemples.

Disparus. Emouvante découverte : il subsiste des carrelages du Muro de la Memoria à Santiago du Chili - là où Claudio Pérez avait imprimé les visages des disparus, victimes de la répression pinochiste. S'ils ont été effacés par le temps à Santiago, le commissaire en a retrouvé quelques-uns dans l'atelier du photographe. Ces carreaux d'histoire de la photo sont étonnants : ils sont à la fois immenses et tout petits.