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Nigel Farage, hilare appliqué

Nigel Farage, le chef de file de la campagne pour le Brexit, à Bruxelles devant le Parlement européen, lundi 8 janvier. (Photo Virginia Mayo. AP. )
publié le 19 janvier 2018 à 20h36

Plus encore qu'en Donald Trump, qui a beau multiplier les grimaces, tics et autres lippes outrés à poil jaune pisse ou poussin, la vague du néo-populisme contemporain avait déjà trouvé, quelques mois avant l'élection présidentielle américaine de 2016, sa plus sculpturale et expressive incarnation en Nigel Farage, leader du parti eurosceptique Ukip et porte-drapeau goguenard de la campagne pro-Brexit. Et pour cause : quand le président américain décline à l'envi les multiples tournures de sa folie furieuse, la plupart des manifestations photographiques de l'homme politique britannique participent à la constitution d'une sorte de logo facial, résumable à l'expression hilare d'une bouffonnerie quasi démoniaque, qui imprime presque invariablement à ses traits de simili-Henri Guaino d'outre-Manche la béance d'un éclat de rire, avec la plasticité exultante d'un Jim Carrey dans The Mask, la mâchoire fendue comme une gueule de squelette désarticulée.

On se rappelle notamment de son esclaffade glaçante fixée sur fond de murs ruisselants de dorures lors de sa rencontre, dans le cadre enchanteur et néanmoins modeste de la Trump Tower, à l’invitation du nouveau président américain au lendemain de son élection, pour une rencontre au sommet entre épouvantails - on aurait cru voir un gamin comme ivre de lui-même et de se trouver dépassé par sa propre (mauvaise) blague.

Sur cette photographie parue dans Libération mardi, c'est toutefois un masque au sens plus indécis qui imprime son visage immortalisé à Bruxelles le 8 janvier, alors qu'il s'apprêtait à rencontrer le négociateur de l'Union européenne : l'air comme bloqué dans un entre-deux par l'annonce imminente de l'apocalypse ou d'un examen proctologique sans anesthésie, on ne saurait dire s'il faut y discerner l'amorce d'un éclat de rire ou l'expression d'un malaise profond. Quoi qu'il en soit, il (é)tire, très littéralement et indéchiffrablement, la gueule. Le cadrage, qui lui coupe un bras (droit) et paraît lui greffer à la place celui d'un micro le ferait presque passer pour manchot et androïde, tel que chanté par un Jacques Dutronc visionnaire à son insu : «Un bras mécanique / Un slip en plastique» (Farage relate longuement dans son autobiographie l'ablation du testicule gauche qu'il a subie à la suite d'un cancer d'abord mal diagnostiqué par un «médecin indien»).

Alors quoi ? «J'ai 53 ans, je suis séparé et fauché», déclarait en décembre, dans une interview au Daily Mail, un Farage qui semblait préparer Noël en compilant des épluchures et de l'eau de pluie en guise de menu de fêtes. Des internautes et journalistes avaient aussitôt rétorqué qu'il réside dans une maison cossue à Chelsea estimée à 4 millions de livres (4,5 millions d'euros), touche depuis 1999 un salaire estimé à 6 700 euros mensuels en sa qualité d'élu européen et, surtout, qu'il n'a a priori pas l'intention de renoncer à sa retraite d'eurodéputé qui devrait lui rapporter 73 000 livres (83 000 euros) par an.

Tenant tribune sur la chaîne radio LBC (Leading Britain's Conversation) où il continue de pester contre l'Europe et les dangereux immigrés, il s'est récemment dit favorable à un nouveau référendum afin de consolider le Brexit dont il estime qu'il n'est pas assez quickly mené par la décidément pas très dégourdie Theresa May. Il est revenu depuis sur ce projet, du dernier loufoque si l'on veut bien considérer que les sondages disent exactement l'inverse et que le parti dont il fut le leader perd, selon son actuel dirigeant Henry Bolton, à peu près 1 000 militants tous les mois. La cote de popularité de Nigel Farage serait au plus bas, comme celle des autres architectes du Brexit, Boris Johnson et Michael Gove, dans de moindres proportions. Il affirme d'ailleurs qu'il peut difficilement se promener dans la rue sans se faire insulter ou jeter des œufs à la figure. Il dit avoir fait l'objet de menaces de mort et des plaisantins auraient desserré les boulons de sa bagnole. Autant d'invitations cordiales et plutôt explicites à fermer sa gueule.