Au milieu du parcours se dresse une table lumineuse, une mappemonde que le visiteur peut activer, reliant lieux et personnages qui ont façonné l'œuvre d'Hugo Pratt. De son centre - Venise, la ville de cœur du père de Corto Maltese - rayonnent une multitude de cheminements, tel un reflet du palais mental de l'auteur italien, « mais aussi de celui qui veut les parcourir à sa guise : c'est un jeu sans règles, une carte de l'imaginaire de Pratt», explique Michel Pierre, historien et écrivain, commissaire invité et compagnon de route du dessinateur, qui ne se pensait pas artiste mais concevait la BD comme une «affaire littéraire» et, par extension, poétique.
L’exposition «Lignes d’horizons» au Musée des confluences, à Lyon, offre une déambulation fascinante en mettant en regard 130 planches et aquarelles originales de Pratt, une cinquantaine de reproductions géantes de cases et près de 100 objets ethnographiques, dont une majorité est issue des collections du musée. La galerie d’entrée, que l’on franchit sous une voile de bateau, retrace les influences du créateur (sa filiation avec la BD américaine, notamment le trait charbonneux de Milton Caniff ; le roman d’aventures et l’âge d’or du cinéma hollywoodien). Au-delà, point d’itinéraire imposé, mais une constellation de pôles géographiques («le Grand Océan», «Amazonies», «les Peuples du soleil», «le Temps des Indiens»…), comme autant de ports d’attache qui aimantèrent cet inlassable découvreur au fil d’une vie aussi riche en périples que celles des protagonistes de ses récits.
Né en 1927 à Rimini, Hugo Pratt vécut en Ethiopie, avant d'être rapatrié à Venise en 1943. Quelques années plus tard, il s'embarque pour Buenos Aires, puis séjourne à Londres, en Italie, en France, et finira sa vie à Lausanne, en Suisse. «Nous sommes définis par les lignes que nous décidons de traverser ou d'accepter comme frontières» : cette citation de la romancière britannique Antonia Susan Byatt s'étale en lettres blanches sur l'un des murs noirs de l'expo. Autour, les vitrines sont peuplées d'artefacts, de bijoux, de vêtements, de statues, de masques et d'armes des civilisations-mondes, présentés en miroir des cases que l'on (re)découvre en format XXL. Avant la galerie de portraits finale, la lanterne magique (une toile de projection circulaire au milieu de laquelle on peut s'asseoir) happe le visiteur avec des visions fantasmagoriques où le dessin de Pratt prend vie, s'incarne hors cadre. Une fois la reconnaissance de ses pairs et le succès populaire acquis, Pratt se savait privilégié de pouvoir poursuivre ses obsessions - la quête des origines, le fantasme de l'éternelle jeunesse - en s'adonnant en toute liberté au voyage, non pas exode ni exil, mais bien insigne errance.