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Série

«Jack Ryan», fluctuat mec mergitur

Si la série, tirée des romans de Tom Clancy, manque de subtilité, elle porte néanmoins un regard inhabituel à Hollywood sur la société française en proie au terrorisme.
John Krasinski en super agent de la CIA. (Photo Amazon)
publié le 7 septembre 2018 à 17h06

Faire du bruit. Quand nombre de chouettes séries ont débarqué très discrètement sur son service de vidéo à la demande avant de se tailler une réputation par le bouche à oreilles (Mrs. Maisel, The Looming Tower, The Terror), Amazon Prime Video cherche encore l'œuvre qui lui permettra d'accaparer l'attention, comme peuvent le faire Game of Thrones ou The Handmaid's Tale du côté de la concurrence. Mise en avant sur sa page d'accueil des mois avant qu'elle ne soit disponible et accompagnée d'une campagne d'affichage, la série Tom Clancy's Jack Ryan est censée jouer ce rôle de détonateur.

On y a d'abord été pour la fascination exercée par le contre-emploi qui installe John Krasinski dans le rôle d'un super agent de la CIA, l'acteur américain étant devenu avec son rôle de Jim dans The Office une incarnation de la joviale normalité américaine, du guy next door avec une femme, un enfant, un métier chiant et de l'humour. D'abord présenté comme un simple analyste affairé à traquer les échanges financiers terroristes derrière un bureau, monsieur Tout-le-Monde se retrouve rapidement expédié sous un déluge de feu au Yémen et se révèle être un action hero assez lambda.

L’intérêt pour la série disparaît à mesure que Krasinski se dissout dans le costume de Jack Ryan, personnage créé par Tom Clancy, romancier qui s’est fait une place en se spécialisant dans le thriller militarisé, et déjà interprété au cinéma par Alec Baldwin, Harrison Ford et Ben Affleck.

De façon plus étonnante, cette production estampillée Carlton Cuse, vieux briscard de la série passé par Lost, Nash Bridges ou Bates Motel, fascine pour ce qu'elle trouve à dire de l'état du monde - à commencer par la France. Enfant de la guerre froide, Jack Ryan a passé les années 90 et 2000 à empêcher un conflit Est-Ouest ou à déjouer des menaces nucléaires. Le voilà lancé aux trousses d'un terroriste libanais élevé à Paris, dans un spectacle qui n'en finit pas de citer le 13 Novembre, entre attentat à Paris et fusillade à «Sin Denis».

On ne peut s'empêcher de chercher la petite bête en guettant les gros sabots américains et l'on se prend dans la tronche un discours étonnement cru sur l'échec du système d'intégration à la française («Toute une génération de musulmans vit ici sans travail ni avenir», balance une agent de la DGSI), explicitant la curiosité que constitue l'assimilationnisme jacobin pour un œil américain.

Plutôt que de diaboliser le terroriste après lequel court Jack Ryan, la série détaille son passé parisien et son chemin vers le fanatisme : l'incapacité à trouver un travail malgré un diplôme à Dauphine, les contrôles aux faciès (le racisme de la police française revenant avec régularité), et finalement la radicalisation entre les murs de Fleury-Mérogis. Jack Ryan n'est pas un monument de subtilité et la série retombe dans sa seconde partie sur le bon vieux plan machiavélique contre la Maison Blanche, mais cet étonnant blockbuster articule un discours géopolitique plus nuancé que nombre des productions similaires destinées au cinéma.