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Darius Khondji, de l’homme à la lumière

Dans un beau livre d’entretiens, le célèbre chef-opérateur évoque ses maîtres et les tournages qui ont marqué sa carrière.
Darius Khondji sur le tournage de «The Immigrant» avec James Gray. (Photo Anne Joyce. Synecdoche)
publié le 30 novembre 2018 à 17h56

Pour qui a déjà eu l'occasion d'interviewer le grand directeur de la photo, Darius Khondji, il ne faut pas compter sur lui pour servir au journaliste quelques anecdotes croustillantes sur le tournage d'Evita, avec Madonna au maximum de sa notoriété diva, ou sur celui de la Plage, avec DiCaprio en roue libre à Koh Phi Phi. L'homme fait de l'image et il parle en technicien et amateur d'art. Chaque rencontre avec un cinéaste signe pour lui la recherche de ce qu'il nomme son «big-bang», le déclic qui va structurer ensuite «tout l'aspect visuel du film, son atmosphère et son âme».

Fusionnels. Journaliste au Hollywood Reporter, producteur de cinéma, Jordan Mintzer avait publié en 2011 un livre passionnant, Conversations avec James Gray (Synecdoche, 2011) dans lequel l'auteur de We Own the Night évoquait, film par film, sa démarche, ses difficultés avec les producteurs, ses sources d'inspiration, etc. En réalisant un livre équivalent avec Khondji, il se confronte à la difficulté particulière d'évoquer un travail qui mobilise des compétences ultra-techniques et avec un artiste qui ne se vit pas comme tel, jurant même qu'il n'a pas de style propre. C'est évidemment faux, car Khondji a inventé un type de photographie sophistiquée, précise et souvent fastueuse, dans la droite ligne et romantique d'un de ses maîtres en lumière, Gordon Willis, l'homme qui a sous-éclairé les somptueux plans du Parrain. Khondji évoque la vision et révision du Klute d'Alan J. Pakula, un de ses films de chevet, Willis y ayant déposé le substrat de son écriture : «L'éclairage par le haut, les compositions panoramiques utilisées pour les scènes intimistes plutôt que pour les vues d'ensemble, les bandes verticales de la ville montrées à l'horizontale, les fragments de visages et de corps.»

Okja

de Bong Joon-ho. Photo Netflix

Révélé à l'international grâce au succès du Seven de David Fincher où il cherche la peur écaillée et l'obscurité visqueuse d'un polar asphyxié, Khondji travaillera ensuite avec quelques-uns des auteurs prestigieux et admirés, tels Roman Polanski (la Neuvième Porte), Bernardo Bertolucci (Beauté volée) ou Woody Allen (Minuit à Paris).

Il évoque des rapports fusionnels, tendus ou décevants avec les différents cinéastes qui l'embarquent à leur côté, l'incompréhension face à un Wong Kar-wai peu concerné par son film américain (My Blueberry Nights) ou Michael Haneke qui le sadise sur Amour : «Un jour, il s'est énervé contre moi alors que j'éclairais Isabelle Huppert d'une lumière assez douce et en cohérence avec la scène qu'on devait tourner.»

Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet et Marc CaroDelicatessen

de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro. Photo Constellation

Paradoxe. Il évoque aussi les exigences de Netflix pour le tournage d'Okja de Bong Joon-ho, demandant que le film «soit tourné en 4K […]. Nous n'avions pas le droit de faire une image en dessous de cette qualité». Et pointe un paradoxe du tournage, pour une diffusion massivement web : en utilisant «les meilleurs objectifs et en élaborant des cadrages audacieux, pas une seule fois nous avons pensé à autre chose qu'au grand écran».

Très soigné dans sa mise en page et son impression, comme l'était déjà le James Gray, le livre est en édition bilingue (français et anglais) et devrait être régulièrement mis à jour, puisque Khondji est actuellement en postproduction pour le prochain film des frères Safdie, Uncut Gems, avec Adam Sandler, successeur du tonitruant Good Time.