Des couloirs bordés de casiers métalliques arpentés par des ados obsédés, des geeks et des pestes, des goths et des jocks (qui ne s'interressent qu'au sport)… A première vue, on est bien dans une variation en format série des teen movies,ce genre spécifique du cinéma américain consacré aux ados et fabriqué pour eux. Sauf que ces spécimens-là arborent un drôle d'accent et l'humour attenant : contrairement aux apparences, Sex Education est bien une série 100 % british. Visiblement fans des films de John Hughes (Breakfast Club) autant que desAmerican Pie, les auteurs du show et, en premier lieu, sa créatrice Laurie Nunn, ne cachent pas leur fascination pour l'univers du teen movie américain - dénomination typiquement «française» de ce que les Américains appellent en réalité teen sex comedies.
On ne pourrait pas être plus proche ici de l'appellation d'origine dans cette histoire qui débute alors qu'un jeune geek introverti est débauché par la jolie rebelle du lycée, vaguement punk et fan de Virginia Woolf, pour monter une sorte de cellule clandestine de conseils en sexologie grandement utiles à leurs congénères en pleine déflagration hormonale - elle a remarqué que le puceau s'y connaissait, et pour cause, sa mère est sexothérapeute et il est «tombé dedans» quand il était petit. Aux alentours de ce campus idéalement américanisé (il n'en existe pas de tel en Angleterre) où, en guise d'uniforme bleu marine, les élèves arborent plutôt teddy aux couleurs du lycée ou sweatshirt à son nom, se déroule une campagne vallonnée typiquement anglaise. Cette superposition d'environnements produit une impression très agréable de dépaysement fictionnel : on reconnaît tout, mais les surprises peuvent venir de toutes parts. Et Sex Education ne se prive pas de nous en faire. Après les deux premiers épisodes qui se plaisent à démontrer leur maîtrise des codes du genre en une sorte de festival de vannes bien envoyées et de références pop, la suite trouve sa vitesse de croisière, plus posée, son identité visuelle (cadres élégants et inventifs) et creuse son sillon bien à elle, en particulier lorsqu'il s'agit de partir à la rencontre de nouveaux personnages le temps d'un épisode : une mère de famille excentrique en attente d'IVG, des jeunes militants anti-avortement… la série est pleine de ces petites bulles de récit, décrochages accueillants dans les fils narratifs pourtant déjà bien fournis des principaux protagonistes.
Autre surprise, la mère sexologue du héros est jouée par Gillian Anderson, ici aux antipodes de son rôle de traqueuse d'extraterrestres dans X-Files, coupe courte peroxydée, toujours ultra-sapée, dans des tenues plus Joan Crawford que campagne britannique. Les premiers épisodes distillent sa présence assez ingénieusement, jouant avec notre soif de spectateur, pas très reluisante, de savoir à quoi ressemble aujourd'hui l'agent Scully. Et nous permettent d'être prêts quand sa drôlerie se fait jour petit à petit. Car oui, Sex Education est très drôle, de cet humour qui sied à merveille à ceux qui veulent détourner l'attention, comme le meilleur ami du héros, irrésistible jeune garçon qui se rêve en Gloria Gaynor mais ne sait pas comment le dire à son père, ou la désopilante fan de mangas qui dessine des histoires intergalactiques ultra-pornos, désespérée de toujours devoir s'arrêter à l'orgasme, faute d'expérience en la matière.
Finalement tout cela est très joliment fidèle à ce qu'est le teen movie et à ce qu'il a toujours été : un mélange, à nul autre pareil, d'obscénité et de grande délicatesse dans la description des tourments de l'adolescence.