On a beaucoup écrit sur les affinités entre Lubitsch et la France - nombre de ses films se passent à Paris ou sur la Côte d'Azur. Mais plus qu'un décor ou un folklore French lover, c'est l'étincelance de ses dialogues et le délicieux mordant qu'il glisse dans la bouche de ses personnages qui tissent une parenté avec l'esprit français. Et puis Lubitsch, ça sonne un peu comme Labiche, même si on songe surtout à Guitry - ainsi, la réplique de la belle héritière (Kay Francis) au prétendant qu'elle éconduit dans Haute Pègre (1932) : «Le mariage est une merveilleuse erreur que l'on commet à deux. Avec vous, ce serait une erreur tout court.»
Trouble in Paradise - titre original qui en cible tellement plus mystérieusement le propos - tourne aussi autour du Paris rêvé des élégantes, parfums, bijoux, champagne, mais avec le regard étranger de celui qui l'a d'abord observé de loin pour mieux en intégrer les codes. Qu'il soit gentleman-cambrioleur d'origine roumaine (le gracieux Herb Marshall) ou membre de la haute société cosmopolite, le héros lubitschien est chez lui partout où il évolue, précisément parce que sa patrie est ailleurs : dans une zone de circulation (le désir, l'amour, l'argent) qui le porte d'un pays à l'autre, guidé par le fil ténu liant les amants par delà leurs milieux, mais les désunit, in fine, parce que les rapports de classes demeurent infranchissables. Et c'est cette idée de fluidité et de rupture qui infléchit la mise en scène, tout en mouvements de caméra aériens et en ellipses.
On dit de Lubitsch qu'il est le cinéaste des portes fermées - moins pour le rappel vaudevillien de celles qui claquent que pour le secret qui se cache derrière, qu'il laisse deviner au spectateur. Il est aussi le cinéaste des fenêtres ouvertes - dispositif où la caméra regarde ce qui se passe à l'intérieur tout en restant à l'extérieur pour glisser vers d'autres fenêtres, d'autres foyers, et tisser entre ces petits théâtres des liens souterrains. Ainsi l'ouverture du film, le fabuleux mouvement d'appareil, dont l'Ophuls de la Maison Tellier et l'Argento de Tenebre se souviendront, qui caresse les parois d'un palace vénitien, nous menant de la chambre où vient d'être commis un larcin au balcon où le voleur rêvasse. Deux mondes sociaux, espace-temps disjoints, réunis par la grâce du cinéma, tel un sortilège permettant à la Lune de se refléter dans une coupe de champagne, et qui fait de Lubitsch un magicien.