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Libération
Critique

Photo/ La survie des autres

Au fil de ses voyages, William Daniels pose son objectif sur des territoires sinistrés, nous donnant à voir la résilience de leurs habitants.
Des pêcheurs Rohingyas, au Bangladesh, en 2017. (Photo WILLIAM DANIELS)
publié le 15 mars 2019 à 18h36

Que le profane ne se laisse pas abuser par la consonance anglophone du projet : Wilting Point, de William Daniels, est bien l'œuvre d'un artiste français. Mais qui n'a de cesse de documenter partout dans le monde ce que l'édito du catalogue appelle les «zones en rupture» ; à savoir ces territoires qui, aux antipodes de Monte Carlo et des Keys, (sur)vivent sur le fil du rasoir, ballottés entre conflits armés, catastrophes naturelles, désastres écologiques ou misère endémique. D'où le titre, gentiment abscons, à lire sous la forme d'une métaphore botanique définissant «le seuil en deçà duquel l'humidité du sol s'avère insuffisante pour permettre à la plante d'y prélever l'eau dont elle a besoin. Celle-ci flétrit alors, puis finit par mourir si ces conditions hostiles perdurent».

Bourlingue. Ceci posé, ce sont bien l'humain et les conditions souvent précaires dans lesquelles il gravite qui se trouvent au cœur des préoccupations du photographe normand. S'il ne possède pas la notoriété de l'iconique Willy Ronis - précédent occupant des lieux qui, sur le front humaniste, a contribué à faire découvrir à pas mal de monde l'exquis pavillon Carré de Baudouin, discret écrin encore insuffisamment valorisé par la Ville de Paris et la mairie du XXe arrondissement, qui le gère - William Daniels est tout sauf un intrus dans le milieu de la photographie. Publié entre autres dans Time et National Geographic, régulièrement récompensé - y compris par deux World Press et un Visa d'or à Perpignan - cela fait ainsi un bail qu'il trimballe son appareil à la manière d'un sismographe. Dix années de bourlingue se trouvent de la sorte compilées, au travers d'une soixantaine de tirages en couleur. De la Centrafrique au Kirghizistan, via l'Inde, Haïti, la Russie, la Birmanie et même la France, l'exposition opte pour un ordonnancement un peu simpliste («le cycle de la vie : du plus clair au plus foncé»), mais qui n'altère aucunement l'acuité d'un propos justement exempt de sensationnalisme, tout comme il sait tenir en respect cette sensiblerie vers laquelle un œil moins exercé - ou plus complaisant - risquerait de dévier.

Danse. Du pillage d'un entrepôt à Bangui avec, en toile de fond, les affrontements entre milices chrétiennes et rebelles musulmans, à la pollution extrême consécutive à l'exploitation du charbon en Pologne, c'est ainsi une capacité de résilience, fut-elle ténue, qui finit toujours par émerger du tumulte. A l'instar de cet homme délié qui, devant une porte-fenêtre ouverte sur la lumière du jour, danse, seul, dans la pièce vide d'une vieille demeure en bois ayant survécu au terrible séisme de 2010 à Port-au-Prince.