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«Big Little Lies», la loi du talon

Toujours portée par un casting de stars, la deuxième saison replonge dans le quotidien des «Monterey 5» rongées par leurs traumas, mais toujours aussi «bitchy».
«Little Big Lies», saison 2. (Photo Home Box Office)
publié le 7 juin 2019 à 17h07

Big Little Lies n'aurait jamais dû avoir de saison 2. Cette saga, portée par un casting féminin all star (Nicole Kidman, Reese Witherspoon, Laura Dern, Shailene Woodley, Zoe Kravitz) aux prises avec l'oppression masculine sous le ciel trompeur de la Californie du Nord et ses paysages majestueusement iodés, n'était calibrée que pour une saison unique, avec une résolution assez forte pour s'arrêter là.

Mais ce que les productrices Witherspoon et Kidman, qui ont pensé ce projet comme une tentative de reprendre la main sur une industrie et des récits globalement régis par des hommes, n'avaient pas prévu, c'est à quel point leur création allait résonner à l'échelle d'Hollywood, et du monde. Six mois pile après son finale en avril 2017, l'affaire Weinstein éclatait et Big Little Lies apparaissait, a posteriori, comme l'incontestable première série de l'ère #MeToo, à cause de ses thématiques bien sûr, de son mode de production et des convictions qui le sous-tendent, mais aussi grâce à ce finale fantasmatique dont personne ne soupçonnait à l'époque qu'il allait faire figure de vertigineuse parabole prémonitoire : un groupe de femmes s'unissant dans l'ombre des loupiottes multicolores d'une fête huppée pour faire tomber - littéralement - le monstre. Rarement dans l'histoire d'une série moderne avait-on trouvé tel écho avec le réel, à part peut-être dans certaines intuitions géopolitiques des scénaristes de Homeland.

Impossible donc d'en rester là, et l'on retrouve nos «Monterey 5» (c'est ainsi que leur communauté avide de cancans les surnomme à présent) aux prises avec ce qu'elles ont vécu. La nécessité d'ausculter leur traumatisme à la fois collectif et individuel est envisagée très sérieusement par le showrunner David E. Kelley (ex-Ally McBeal, The Practice) et ses auteurs. Mais si elles sont toutes changées par les événements, pas question en revanche de se défaire de ce qui fait l'ADN de BLL : un portrait de la Californienne riche et volontiers bitchy, ce à quoi Dern et Witherspoon excellent, il faut bien l'avouer. Il suffit de les voir arpenter l'espace en stilettos comme si tout leur était dû, ou parler au corps enseignant de leurs enfants comme à des domestiques. Ce qui leur arrive est peut-être compliqué, mais la femme d'affaires incarnée par Dern est catégorique : «I will not NOT be rich».

Le pendant doux à cette démonstration souvent jubilatoire est à chercher du côté du tandem Shailene Woodley-Nicole Kidman, qui nouent une relation assez bouleversante dans le partage de leur traumatisme. Il faut dire que Kidman atteint cette saison une complexité inouïe : ses douloureuses séances de thérapie ainsi que sa relation sado-maso à son mari décédé, sous forme de dépendance sexuelle post-mortem, en font l'un des personnages les plus forts vus récemment à la télévision, rendu d'autant plus bouleversant par la chirurgie esthétique qui a commencé à grignoter le visage de la star. Elle s'y révèle insondable, avec son sourire comme une blessure. Signalons aussi l'arrivée de Meryl Streep en mère fouineuse très Desperate Housewives pour grossir les rangs de la «staritude» générale…

Le décalage visuel et sensoriel entre ce qu'elles vivent (à présent la culpabilité d'avoir tué, ou contribué à tuer, ou approuvé silencieusement un meurtre, et les différents traumas qui poursuivent leur chemin) et leur environnement quotidien (la nature flamboyante qui les entoure et les luxueuses villas qu'elles habitent toutes ou presque) continue de fonctionner à plein tubes. Et la série n'a pas renoncé non plus à ces petits décrochés guimauve, comme ce moment totalement gratuit où Shailene Woodley danse au bord du Pacifique avec son casque sur les oreilles. On est parfois à deux doigts de la pub pour écouteurs sans fil… Telle est Big Little Lies : cultivant la séduction cheesy de l'esthétique publicitaire, mais plus que jamais redoutablement sous-tendue par la menace d'une intime apocalypse.