Le «silence» du titre peut s'entendre comme une injonction. Pas un bruit. En posant les pieds dans le Japon du XVIIe pour venir y prêcher et structurer la foi des quelques centaines de milliers de chrétiens, deux missionnaires jésuites bravent un interdit. Arrivé sur l'archipel avec les armes à feu en 1549, le christianisme s'y est si rapidement propagé que les seigneurs en ont interdit sa pratique, chassant et exécutant ses représentants pour mieux étouffer ce qui ressemble à une contamination de la culture occidentale. Le Silence de Masahiro Shinoda, adapté d'un roman de Shusaku Endo, s'intéresse à la naissance, en catimini, d'un christianisme des caves et cavernes, les deux pères satisfaisant les besoins de prêches d'un village de pêcheurs sur lequel ils posent un regard d'ethnologues, fascinés par l'abnégation au travail d'une population dure au mal. A ce titre, le film de Shinoda rejoint en partie les préoccupations sociales de ce que l'on a pu appeler la Nouvelle Vague japonaise - dont le cinéaste incarne le versant le plus «formaliste» -, mettant en scène, dans sa première partie, l'écrasement d'une masse laborieuse par un pouvoir autoritaire. La foi se confond alors avec une forme d'insoumission, de résistance aux autorités, écho lointain aux mouvements sociaux et étudiants de la fin des années 60.
Mais le silence ne révèle sa véritable nature que dans la seconde moitié du film. Après avoir pris la fuite et entamé un interminable chemin de croix pour échapper à la répression, le père Rodrigues est rattrapé, questionné et sommé d’abjurer. Le silence, c’est celui de Dieu, l’absence de réponse face au martyre enduré en son nom. A son infaillible dévouement, le film oppose deux miroirs déformants : le double grotesque d’un paysan vil et pathétique qui traverse le récit en répétant qu’il ne peut endurer pareil supplice ; et le reflet flétri d’un ancien missionnaire qui a adopté jusqu’à l’apparence des Japonais, brisé non par la torture mais par l’absence d’un feed-back divin. Cette allégorie sur les sacrifices exigés par la foi, dont le degré ultime du dévouement se confond avec le sacrifice de l’insacrifiable, se double d’une confrontation entre deux certitudes sourdes l’une à l’autre : l’universalisme des valeurs portées par la religion et l’Occident et le relativisme du pouvoir japonais qui fait valoir ses particularismes nationaux. Fascinant sous l’œil ou la plume d’un Japonais, cette réflexion l’est beaucoup moins dans sa reprise façon panzer par Martin Scorsese en 2016.