Le premier épisode de la dixième saison de Curb Your Enthusiasm est arrivé le 19 janvier, soit pile au bon moment pour que le personnage de Larry David puisse s'y offusquer que des gens lui souhaitent encore la bonne année. Deux ans après le retour inattendu de cette série culte (pour une neuvième saison tournant autour d'une comédie musicale inspirée de Salman Rushdie sobrement intitulée Fatwa !), revoici donc Larry et son nombril, déambulant désormais dans un Los Angeles post-MeToo. S'il avait fallu attendre huit ans entre la saison 8 et 9, les choses sont allées plus vite cette fois. Il faut dire que l'ambiance actuelle à Hollywood a largement dû inspirer David. Cocréateur, producteur et showrunner de la mythique série Seinfeld, ce roi de l'humour très loin du politiquement correct se plaît, depuis 1999, à jouer ce rôle d'anti-héros, qualifié par son meilleur ami dans un épisode d'«assassin social», c'est-à-dire un homme fixant ses propres valeurs et normes, suivant coûte que coûte une idée toute personnelle de ce qui est juste ou ne l'est pas, et disant tout haut ce que les autres pensent tout bas, au mépris de l'ordre social. Un alter ego narcissique-radical, oisif et sans empathie qui, à 72 ans, s'est peut-être encore un peu plus dégarni mais n'a rien perdu de son mordant. A l'heure où les esprits chagrins de tous bords regrettent qu'on ne puisse plus rien dire, David, lui, fonce dans le tas, détruisant au passage perches à selfie et trottinettes électriques. Le contexte actuel et la troublante ressemblance de son meilleur ami et manager Jeff (Jeff Garlin) avec Harvey Weinstein font des premiers épisodes de cette saison un festival hilarant, auquel participe presque toute la troupe habituelle (exception faite de Bob Einstein, décédé récemment) : son ex-épouse, Cheryl (jouée par Cheryl Hines), son manager, Jeff (Jeff Garlin), la femme de celui-ci, Susie (Susie Essman), son coloc, Leon (J.B. Smoove) et l'humoriste Richard Lewis dans son propre rôle.
Ainsi n'est-il pas étonnant de retrouver Larry David accusé de «comportement inapproprié» parce qu'il a jugé bon de dire à une femme enceinte qu'elle ne devrait pas boire de café ; de nettoyer ses lunettes avec le chemisier de son assistante ; ou de passer une soirée entière à suivre du regard une employée de maison distribuant (à tout le monde, sauf à lui) les meilleurs petits-fours du buffet.
A mille lieues de la culture woke, David fait fi du regard que les autres portent sur lui. Dans une ville à grande majorité démocrate et au mépris de ses propres préférences politiques, porter une casquette «Make America Great Again» pour repousser les raseurs lui semble en effet être une excellente idée.
Moins concerné par l'état de la planète que par le problème des tables bancales au restaurant, Larry David transforme, comme à son habitude, les détails du quotidien - délai acceptable pour souhaiter la bonne année donc, mais aussi température du café ou interdiction d'utiliser des WC privés - en motifs de luttes épiques. Suivant le credo «no hugging, no learning» (édicté il y a plus de trente ans avec Seinfeld), David se garde de toute leçon de morale et se permet d'aborder tous les sujets. Si depuis vingt ans aucun enseignement n'est jamais retiré des épreuves et des jours qui se succèdent, chaque épisode confirme le génie de David et de son équipe. L'année ne sera sans doute pas bonne mais au moins, avec Larry David, elle aura bien commencé.