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Gregory Crewdson, «Becket» magique

Deux séries conçues autour d’un même lieu ayant rythmé différentes époques de la vie du photographe américain sont présentées par le Frac Auvergne et visibles en ligne.
«Woman at Window» (2014) de Gregory Crewdson. (Photo Gregory Crewdson. Galerie Daniel Templon, )
publié le 27 mars 2020 à 17h07

Aquoi ressemble le refuge idéal ? Tout le monde s’interroge aujourd’hui sur les formes que doit prendre un abri où puiser des ressources. Dans le cas de Gregory Crewdson, un repaire idéal s’apparente à une petite cabane en bois au fond d’un jardin ou au milieu des pins. Et cet antre se situe sans aucun doute à Becket dans le Massachusetts. C’est là que vit le photographe américain, connu pour ses inquiétantes mises en scènes et ses productions cinématographiques, et c’est là qu’il a plusieurs fois retrouvé l’équilibre et l’inspiration, comme nous le montre le Frac Auvergne.

Temporairement fermé alors qu'il présente une belle exposition d'Agnès Geoffray (Libé du 6 février), le centre de Clermont-Ferrand prolonge sa programmation en ligne. Jean-Charles Vergne, le directeur, maintient sa politique de gratuité en offrant la visite virtuelle d'une de ses expositions phares de 2017 (plus de 20 000 visiteurs). Si la balade numérique dans les salles et couloirs de The Becket Pictures de Crewdson n'est pas désagréable, c'est surtout grâce au PDF du livre édité à cette occasion (il reste environ 30 exemplaires disponibles) que l'on peut voir en détail les photographies. Le Frac y montre deux séries réalisées à dix-huit ans d'intervalle, Fireflies (1996) et Cathedral of the Pines (2014), liées par une unité de lieu, Becket, où les parents du photographe avaient un chalet dans les bois quand il était enfant. «Tout artiste porte en lui une seule histoire qu'il ne cesse de raconter», confiait Crewdson à Libération en 2016.

Réalisée avec une équipe restreinte, Cathedral of the Pines est née après une période de désert créatif minée par l'angoisse de la page blanche. «C'est mon travail le plus intime, enfin aussi intime que possible», expliquait ce fils de psy à propos de cette série dont le nom est tiré d'une piste de ski de fond située à Becket, où le photographe s'est réfugié après l'échec de son deuxième mariage et où il a rencontré Julianne, sa dernière compagne. Dans cette série grise et picturale, des baies vitrées laissent entrevoir une nature blanche figée dans la névrose. L'idée du refuge (une cabane de jardinier, un salon avec baie vitrée, une hutte dans la forêt) où entrent la neige et le froid est une constante. Au cœur de ces mises en scènes dépressives, des portes et des trappes dans le plancher s'entrouvrent. Le plus étonnant dans le choix du Frac reste Fireflies, série plus ancienne qui procède, elle aussi, de la résilience. A l'époque, Crewdson se sépare de sa première femme et passe l'été à Becket. La nuit tombée, il photographie, en noir et blanc, des lucioles, les enferme dans des bocaux et leur fabrique des pièges en toile. Ces images intimes et contemplatives ne ressortiront des boîtes que dix ans plus tard, quand il supportera à nouveau de les voir. Il aura certainement trouvé le meilleur des refuges à Becket et dans la photographie.