Menu
Libération
Série

«Space Force», la conquête à l’ouest

Campée par un Steve Carell tout en droiture, à l’opposé de son rôle dans «The Office», la fiction créée par l’acteur et Greg Daniels souffre d’un trop-plein de sérieux et d’un fort penchant moraliste.
Steve Carell en général control freak. ( Photo Netflix)
publié le 29 mai 2020 à 17h41

Peut-on encore raisonnablement dire d'une série télé qu'elle est «attendue», dans un monde où les programmes n'en finissent plus de surgir à l'infini, chacune avec sa star labellisée cinéma, sur des plateformes démultipliées en quête de contenu exclusif ? Sursollicité, le spectateur n'attend pas, mais prend ce qui lui tombe sous le nez et juge sur pièces. Sans être un événement, Space Force se présente comme un peu plus que la énième série anonyme qui débarque un vendredi pour cannibaliser le temps de cerveau disponible du week-end. Pour situer la nouvelle série de Greg Daniels et Steve Carell, un chiffre : leur dernière collaboration, la version américaine de The Office, a été arrachée des mains de Netflix par NBC contre un chèque de 500 millions de dollars, fin 2019. Le prix de la série, terminée en 2013, s'alignant sur celui des Friends et Seinfeld dans une guerre d'enchères à laquelle se livrent les plateformes pour s'arroger les classiques sitcoms et ainsi fédérer un public morcelé autour d'imposantes pierres angulaires de catalogue. Bref, réunir la star et le principal artisan de The Office pour une nouvelle série, ce n'est pas rien.

Disons-le d'emblée : on rit très peu devant Space Force. Bien moins que devant les pitreries de Michael Scott, médiocre et très humain patron prêt à tout pour arracher attention et sympathie à ses employés. Steve Carell s'échine même à définir son Mark Naird comme l'antithèse de Scott. Un général quatre étoiles droit, pondéré, soucieux de la hiérarchie et peu amateur de blagues genrées (quand l'autre était impulsif, juvénile et s'enivrait de «that's what she said», «c'est ce qu'elle a dit») qui se voit refiler la direction d'une nouvelle branche des armées créée par l'exécutif pour assurer la défense des intérêts stratégiques de l'Amérique (comprendre Twitter) par-delà la stratosphère. Un bâton merdeux nommé Space Force, et une entreprise tout ce qu'il y a de plus réelle initiée par Donald Trump.

Le contraste Scott / Naird joue à plein et l'on s'amuse de voir le même Steve Carell, qui organisait des olympiades de bureau, se dresser en garant des protocoles. La série en fait même son socle comique en opposant le militaire au scientifique, le rang à la raison, le protocole à la morale, Naird à son premier conseiller Mallory, interprété par un John Malkovich plus théâtral et exaspérant que jamais (et c'est pas peu dire quelques mois après The New Pope). S'il n'est pas rare qu'une sitcom ait besoin de temps pour trouver ses marques et exige un peu de mansuétude, force est de constater qu'on reste devant Space Force moins pour ses qualités que pour tenter d'y voler une grimace, un soupir, un «nope» qui témoignerait de la grande époque de The Office. Autour de Carell, c'est le désert. Lisa Kudrow (l'ex-Phoebe de Friends) en bourgeoise East Coast effondrée de se retrouver sur une base du Colorado est rapidement évincée, laissant la place à un casting très fade. Une ado stoner mais pas trop, un stagiaire espion russe, un rival de l'Air Force tout en couilles…

Les tacles réguliers contre Trump arrachent tout juste un sourire, vite chassés par un patriotisme (antichinois) qui semble servir de contre-feu pour que l'on ne vienne pas accuser les créateurs d'antiaméricanisme et par le fait que la série souffre de se prendre au sérieux. Bien plus modeste dans ses dispositifs, The Office captait des bouts de vies modestes, des rêves popu, tout en dressant un autel flamboyant à la gêne et au malaise. Sans jugement. Space Force n'est rien d'autre qu'une petite sitcom aux relents moralistes. Du côté des progressistes, certes, mais quelle tristesse.