Un docu sur les Chippendales, sans déconner, et sur Arte en plus ? Voir s’agiter des Playmobil ouvrier-pompier-flic-marin ambiance Village People avec mix boy’s band, tablettes de choco, coueffure à la Farrah Fawcett, strings très succincts et chorégraphie censée émoustiller ces dames qui verraient là comme un pendant-revanche aux strip-teaseuses de leurs maris à qui on glisse un petit bifton dans la culotte ?
Cinquante-deux minutes de film allemand fouillé sur ce phénomène d’il y a quarante ans qui a ravagé la planète femme en prétendant offrir un Disneyland du plaisir (de l’œil essentiellement, mais pas que) avec scènes d’hystérie colossales sur la côte Ouest, puis un peu partout dans le monde ? Eh oui, et ça se regarde avec curiosité parce que finalement, on s’arrête sur le côté un peu méprisant du «ah ouais ! le clicheton de l’enterrement de vie de jeune fille !», «ah ouais ! bonjour le féminisme qui avance bien si c’est pour être aussi connes que les mecs, merci !», «rhaaa ! la vulgarité des types bodybuildés genre icônes gays à 2 dollars».
Certes, mais c'est pas que ça, les Chippendales, et le docu va le prouver dans cette petite heure où on aura un peu de cul, un peu de vulgarité oui, c'est pas faux, un peu d'étonnement devant l'engouement pour cette bande d'apollons (quand on aime l'ambiance Gymnase Club, protéines et stéroïdes) dansants, beaucoup de drogues et de pognon, un concept ultra-bankable, et des meurtres, mesdames-messieurs, qui l'eût cru ?
Rougeaudes
Rembobinage sur l'histoire de ce phénomène comme seules les années 80, foire aux muscles et aux apparences, leur fausse libération sexuelle héritée des folles seventies, pouvaient en générer. Tout commence donc en 1970 et en Californie, où règnent le culte du corps, la révolution sexuelle, l'amour libre précatastrophe du sida. Où un immigré indien, pompiste puis visionnaire puis millionnaire puis meurtrier, trouve un concept génial après avoir racheté une petite boîte de nuit, en 1975 à L.A., trouvé un associé, lancé des combats de lutte féminine dans la boue (no comment sur le féminisme du gars) et des jeux divers, et cherché quoi faire pour se démarquer des autres lieux de la night : ainsi naissent les Chippendales - nom trouvé parce que la boîte est remplie de meubles classiques et assez robustes du nom de leur créateur du XVIIIe siècle, Thomas Chippendale, qu'on trouve dans les bons clubs anglais -, bicause Somen Banerjee, qui s'appellera Steve ensuite, a remarqué que les strip-teaseurs mâles, ça marche super bien (sans blague) dans les clubs pour garçons sensibles. Les femmes vont donc en profiter, y a pas de raison, et Michael Rapp, un ancien de la team de l'époque, portant encore beau, explique qu'il y est allé parce qu'il adore les femmes et qu'il adore retirer ses vêtements.
A l'époque, c'est ambiance Rahan bodybuildé huilé en slop blanc, érotisme lascif, et argument qu'ils sont hyperféministes : ces dames se comportent comme des hommes, boivent, regardent les mecs, et qu'il était temps que l'on reconnaisse, le désir féminin oublié au fil des siècles. Pas faux, mais pas sûr que ce genre de spectacle fasse avancer les choses, on s'en fout en fait de savoir si c'est une réponse à la culture macho, une riposte plaisante aux danseuses nues. Elles s'éclatent, elles hurlent, elles se «libèrent», ordonnent aux hommes, enfin, surexcitées et rougeaudes : un succès planétaire, une marque génératrice d'un fric dément, la grande vague du culturisme (Schwarzy en tête de gondole) modifie le regard sur les hétéros mâles qui ont le droit de prendre «soin de leur corps sans être gay», explique un ancien.
Cellule
Arrive le fameux Nick De Noia, qui va génialement scénariser les chorés en inventant des histoires à l'eau de rose et lancer les tournées, nid à millions mondiaux. Manchettes et nœud pap seront leur marque de fabrique, le pognon se ramasse à la pelle, Gucci, Madonna, Calvin Klein, Patrick Swayze, tout le monde emprunte leurs codes. Des copycats tentent de faire pareil, mais l'Indien les incendie, avant de faire buter en 1987 le trop control freak Nick, avec lequel il se battait pour les droits et la propriété du groupe de danseurs.
On retrouvera Banerjee pendu dans sa cellule quelques années après (il a été balancé par un danseur passé indic au FBI), comme quoi être un chippendalier n’est pas de tout repos. Un métier très convoité, symbole de réussite, où on trouve des anciens militaires, profs de sport, danseurs, un show-biz aujourd’hui ultrapro et des entraînements draconiens façon rats de l’Opéra, des chorés millimétrées limite gymnastes. De la danse exotique masculine revenue en grâce en 2002 et nous laisserons une Allemande à cheveux bleus conclure : on a toutes des fantasmes sur les ouvriers du bâtiment torse nu.