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Libé tout en BD

Les mondes emboutis de Perrodeau

Avec «le Long des ruines», l’auteur met en scène une sorte d’«Aventure intérieure» dans la psyché d’une jeune femme.
(Éditions 2024)
publié le 28 janvier 2021 à 17h11

Jeremy Perrodeau semble procéder par stratification, de manière incrémentale, une couche par-dessus l’autre. Son second livre introduisait la couleur dans le minimalisme foisonnant de son dessin. Celui-ci ajoute un travail de trame. Le genre de détail qui attrape moins l’œil mais participe à donner du relief, de la masse et un aspect charnu aux planches. Une matière et des zones d’ombre qui relèvent une jolie bichromie où un profond bleu marine cohabite avec un cyan plus léger, et le blanc de la page.

Rétro-kitsch. C'est beau, mais pas seulement. Car le récit du Long des ruines est aussi une affaire de couches, puisqu'il s'agit d'une croisière inquiète dans les soubassements. Dans un futur rétro-kitsch, un type débarque dans un parc suspendu dans les nuages, sorte d'île flottante pleine de quiétude au-dessus de l'agitation de la ville, où l'attend un couple d'adorables personnes âgées. L'homme s'appelle Monroe, il est navigateur et aura la charge de s'enfoncer dans l'esprit de leur fille, si profondément perdue dans ses pensées que la rêverie vaut coma.

Le Long des ruines se donne à lire comme une sorte d'Aventure intérieure où il s'agit non plus de pénétrer et d'arpenter un organisme, mais une psyché. De landes infinies en forêts de neurones, de canyon en rivière, ses aventuriers errent à travers les vestiges de mondes abandonnés, dont on a tourné la page. Terrain miné par excellence. Ils y croisent des hommes oubliés, ermites effrayés qui poursuivent un semblant de vie loin des yeux de leur hôte qui, elle, reste introuvable dans ce monde flottant.

Vie propre. Perrodeau brille une nouvelle fois dans une dimension exploratoire. L'environnement, chez lui, semble doté d'une vie propre, d'une logique et d'une échelle. L'auteur avait pris l'habitude de faire de l'homme une pauvre petite chose perdue dans des planches trop grandes et foisonnantes pour lui. Ici, il rapproche la caméra de ses personnages, davantage incarnés. Le Long des ruines y gagne en clarté et en lisibilité, quitte à abandonner en chemin un peu de la rêverie graphique des livres précédents, plus elliptiques.