Un rapport «biaisé et sans fondement» qui contrevient «aux principes d’indépendance et de non-interférence». Dans un communiqué diffusé dimanche 11 juin, les talibans ont rageusement rejeté les conclusions du comité des sanctions de l’ONU remises quelques jours plus tôt au Conseil de sécurité. Ils ne pouvaient pas faire autrement : selon les Nations unies, «les talibans de 2023 sont, à quelques exceptions près, les mêmes que ceux des années 90 […] Sur le plan idéologique, ils conservent une mentalité d’insurgés, attachés à une théologie politique inaltérable, ce qui complique leur adaptation à une gouvernance efficace». Le constat détruit aussi l’argument de la précédente administration américaine qui a négocié durant près de deux ans avec les talibans à Doha, au Qatar, en assurant qu’ils avaient changé et seraient moins obscurantistes que lors de leur premier passage au pouvoir, entre 1996 et 2001.
A lire aussi
Comme à l’époque, les décisions se prennent aujourd’hui davantage à Kandahar, la grande ville du sud, qu’à Kaboul. C’est là-bas que vit, reclus et invisible, l’émir du mouvement, Haibatullah Akhundzada, aussi dénommé «commandeur des croyants», entouré d’un cercle de religieux ultraconservateurs. Ils ne s’embarrassent pas des ministères de la capitale, n’hésitant pas à imposer leurs vues sans les consulter. «Des sources ont rapporté que l’interdiction faite aux femmes afghanes de travailler avec l’ONU a été transmise aux forces de sécurité locales par un message vocal émanant d’Haibatullah, à l’insu du Premier ministre de facto et de ses trois adjoints», note l’ONU.
«Luttes incessantes pour le pouvoir»
Cet ultrarigorisme imposé par Kandahar génère des tensions au sein du mouvement, principalement avec le numéro 2 de l’organisation, Sirajuddin Haqqani, ministre de l’intérieur, et le mollah Yaqoub, fils du mollah Omar et ministre de la Défense. Les deux seraient plus enclins à faire des concessions pour entamer un rapprochement avec la communauté internationale et n’ont pas hésité à critiquer publiquement Haibatullah Akhundzada, sans toutefois le nommer, en début d’année. Celui-ci les aurait alors démis de leurs fonctions, sans qu’aucune démission ne soit finalement posée. Signe probable que l’émir craint pour sa sécurité, des unités de martyrs ont été relocalisées à Kandahar. Il a l’inverse exclu de sa garde rapprochée les membres du ministère de l’Intérieur et de la Direction générale du renseignement.
À lire aussi
«Bien que les talibans restent solidaires, l’existence de divisions en leur sein a créé des conditions préalables à l’affaiblissement du régime de facto, indique le rapport des Nations unies. Dans le même temps, les luttes incessantes pour le pouvoir entre les différents chefs de faction déstabilisent encore plus la situation, au point que le risque d’un conflit armé entre factions rivales est manifeste.» Une éventuelle guerre civile, que craignent des pays de la région, ne devrait pas se déclarer avant 12 à 24 mois, selon certains Etats membres.
Autre critique majeure : la présence d’organisations terroristes sur le sol afghan. Théoriquement, selon les engagements pris par les talibans lors du retrait des troupes étrangères à l’été 2021, aucun groupe jihadiste ne devait pouvoir utiliser le pays comme base pour fomenter des attentats contre les intérêts américains ou ceux de ses alliés. Dans les faits, Al-Qaeda est toujours présente, avec entre 30 et 60 membres du commandement central et 400 combattants (2 000 en ajoutant les familles et les partisans).
Un pays «utilisé comme centre idéologique et logistique»
«L’organisation garde un profil bas, se concentrant sur l’utilisation du pays comme centre idéologique et logistique pour mobiliser et recruter de nouveaux combattants tout en reconstruisant secrètement sa capacité de mener des opérations extérieures», affirme le comité de l’ONU. Un camp d’entraînement de kamikazes aurait été établi dans la province du Nouristan (nord-est), tandis que celle d’Hérat (ouest) accueillerait un nouveau centre médiatique. Les talibans verseraient à Al-Qaeda des «aides sociales» mensuelles et auraient nommé certains de ses membres dans leurs services de sécurité et au ministère de la Défense.
Outre Al-Qaeda, les talibans laissent opérer dans le pays une vingtaine d’autres organisations jihadistes, dont les talibans pakistanais (TTP), qui multiplient les attaques dans leur pays d’origine, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan et le Parti islamique du Turkestan.
Le plus dangereux reste l’Etat islamique au Khorasan (EI-K). Ennemi déclaré des talibans, il compterait entre 4 000 et 6 000 membres, en comptant les familles, dans le pays, surtout dans le nord, l’est et le nord-est. Au moins cinq nouveaux camps d’entraînement auraient été construits l’an dernier. «Les talibans ont discrètement demandé un appui en matière de renseignement et de logistique pour lutter contre l’EI-K, se proposant comme partenaire de la lutte contre le terrorisme, indique l’ONU. Compte tenu des relations étroites qu’ils entretiennent avec Al-Qaeda, le TTP et d’autres groupes terroristes, il est très risqué de laisser les talibans décider des groupes terroristes contre lesquels ils agiront et de ceux contre lesquels ils n’agiront pas.»