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Etude

A Madagascar, la famine ne serait pas uniquement «climatique»

Une étude scientifique nuance les déclarations des Nations unies et Amnesty International qui qualifient de «première famine climatique» la grave crise alimentaire actuelle dans le sud de l’île.
Le 2 novembre à Tsihombe dans le sud de Madagascar, des habitants creusent pour accéder à l'eau, alors qu'une grave famine sévit dans la région depuis des mois. (Alice Rahmoun/AP)
par Léonardo Kahn
publié le 3 décembre 2021 à 15h34
(mis à jour le 3 décembre 2021 à 15h34)

«Globalement, on ne peut pas dire que les sécheresses s’intensifient à Madagascar», assure le physicien Robert Vautard à Libération. Le directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace fait partie des auteurs de la dernière étude du World Weather Attribution (WWA), un réseau de scientifiques de plusieurs universités réputées dont celle d’Oxford, spécialisé en matière d’attribution des événements extrêmes au changement climatique.

Leur étude n’a pas trouvé de preuves scientifiques pour établir catégoriquement un lien étroit entre le réchauffement climatique et la famine qui frappe le sud de l’île depuis quelques mois. Contrairement aux conclusions de l’ONU et Amnesty International fin d’octobre. Pour Robert Vautard, «certes, la longue période de sécheresse aggrave la précarité alimentaire dans la région, mais il s’agit plutôt d’un événement météorologique très rare que d’une tendance d’ordre climatologique».

Pour la deuxième année consécutive, la période de mousson a été particulièrement courte dans le Grand Sud. L’étude de la WWA estime qu’une telle sécheresse a chaque année une chance sur 135 de s’y produire. Un tel événement s’était déjà produit il y a près de trente ans entre 1990 et 1992. Selon Robert Vautard, ces deux exemples ne suffisent donc pas pour en déduire une intensification des périodes de sécheresse de manière générale.

Précarité et urgence alimentaire

Néanmoins, la WWA ne nie aucunement l’impact que la sécheresse exerce sur la précarité des Malgaches. Pour une zone agricole fortement dépendante de la pluie, un manque de précipitation engendre quasi instantanément une pénurie alimentaire. «A priori les agriculteurs sont capables de survivre à une année de sécheresse. Avec deux années de sécheresse consécutives, cela devient beaucoup plus compliqué», avance le scientifique.

Outre la sécheresse, Robert Vautard précise que la précarité des habitants serait également à l’origine de la famine. 90% de la population du Grand Sud vit sous le seuil de pauvreté et la moitié subit une précarité alimentaire. Un habitant sur six se trouve même dans l’urgence alimentaire.

La pandémie a contribué à un effondrement de l’activité économique, ce qui aggrave la stabilité financière des agriculteurs. Ils avaient l’habitude de se rabattre sur d’autres professions lorsque le rendement de leurs champs était trop faible pour en vivre. Aujourd’hui, ces petits boulots manquent.

Le résultat est une catastrophe humanitaire néfaste. Près d’un million de victimes de la famine cuisent des cactus et des tubercules sauvages, au lieu du riz, du manioc et du maïs, pour lutter contre la faim. La cendre ou de l’argile blanche, utilisée pour enlever le mauvais goût des plantes, les rendent malades. En 2020, la malnutrition était liée à, au moins, 44% des décès d’enfants de moins de 5 ans, selon l’Unicef.

Soutien international

Le 27 octobre, un rapport choquant d’Amnesty International avait insisté sur l’origine d’ordre climatique de cette calamité. Suite aux révélations, le président malgache Andry Rajoelina avait réclamé un soutien international pour son pays lors de la COP26 à Glasgow. «Mes compatriotes endurent le tribut d’une crise climatique à laquelle ils n’ont pas participé», avait insisté le chef d’Etat.

L’étude de la WWA montre que la sécurité alimentaire à Madagascar était dans un stade fragile bien avant la période de sécheresse extrême. La conclusion d’Amnesty International selon laquelle la catastrophe humanitaire actuelle serait la «première famine climatique» n’est pas tout à fait correcte, selon les scientifiques. «Par contre, ceci ne veut pas dire que le réchauffement climatique ne causera pas de famines dans le futur !» souligne pourtant le chercheur Robert Vautard.

La WWA confirme qu’un réchauffement climatique de 2°C causerait bien une intensification des sécheresses et une augmentation de leur fréquence dans le sud de Madagascar. Le dernier rapport du Giec avait tiré les mêmes conclusions en août.