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Réactions

Niger: Niamey célèbre la «souveraineté» après l’annonce du retrait français

Pas de scènes de liesse, mais une satisfaction appuyée et le sentiment de vivre un «moment historique» ont accueilli l’annonce par le président français, dimanche soir, du retrait des troupes françaises stationnées au Niger.
Des manifestants devant la base militaire française à Niamey, le 2 septembre. (AFP)
publié le 25 septembre 2023 à 10h46
(mis à jour le 25 septembre 2023 à 11h55)

Dimanche, 19h50. Maikoul Zodi est en route pour l’Escadrille, du nom du rond-point qui dessert le complexe militaire nigérien abritant la base aérienne projetée des forces françaises au Niger. Depuis début septembre, ce lieu a charrié des dizaines de milliers de manifestants en faveur du retrait des soldats français installés en 2013. Il est occupé jour et nuit, et la sono, branchée de 15 heures à 7 heures du matin. Au programme, conférences, concerts, projections de films, prises de parole. Le dimanche, c’est jour de prêche. Tout à sa routine, énumérant les fonds reçus par la diaspora nigérienne de Belgique et de Caroline du Nord (plus de 13 000 euros en tout, selon lui), Maikoul Zodi, président de la coalition de mouvements à l’initiative de la mobilisation, n’est pas encore au parfum des annonces d’Emmanuel Macron déroulées vingt minutes plus tôt sur TF1 et France 2.

A savoir, le rappel de l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, «dans les prochaines heures» et le retrait des 1 500 militaires français déployés sur le sol nigérien, à Ouallam, à 100 km au nord de la capitale, et à Ayorou, à 200 km au nord-ouest. «Nous voulons que ça se fasse dans le calme d’ici à la fin de l’année», a précisé le président français. Le militant prend acte, placide : «On se réjouit, notre lutte est en train de payer.» Et embraye : «Mais nous allons continuer à manifester jusqu’au départ du dernier soldat français.» «Nous resterons très vigilants pour suivre la mise en œuvre de ces annonces», complète Ali Idrissa, secrétaire exécutif du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire, autre figure des mobilisations transformées en sit-in permanent depuis le 2 septembre.

Petit glissement sémantique

Un mois plus tôt, le général Tchiani, à la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, junte militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat du 26 juillet) avait dénoncé cinq accords militaires franco-nigériens conclus entre 1977 et 2020. Mais Paris martelait l’irrecevabilité de cette demande émanant d’autorités illégitimes à ses yeux, ne reconnaissant que le président déchu Mohamed Bazoum, «élu démocratiquement». Cette inflexibilité a aussi guidé le maintien à son poste de l’ambassadeur Sylvain Itté, pourtant déclaré persona non grata par le CNSP et frappé par une ordonnance d’expulsion le 1er septembre. Le diplomate était donc retranché avec ses collaborateurs dans l’enceinte de l’ambassade de France à Niamey. Jusqu’au revirement de ce dimanche 24 septembre. Petit glissement sémantique, Emmanuel Macron a évoqué «les autorités de fait» du Niger qui, a-t-il argué pour motiver la fin de la coopération militaire, «ne veulent plus lutter contre le terrorisme».

«Emmanuel Macron se rend à l’évidence et on ne peut qu’être fier en tant que Nigérien, savoure Ali Idrissa. C’est la première fois que le peuple se mobilise face à une grande puissance, en l’occurrence, l’ex-colonisateur. On en sort renforcés.» Dans la soirée de ce dimanche, le CNSP a salué dans un communiqué lapidaire «un moment historique» et une «nouvelle étape vers la souveraineté du Niger». Et de fustiger «la junte française» – une formule brandie en septembre 2022 à la tribune des Nations unies par le colonel Maïga, alors Premier ministre par intérim du Mali voisin.

«La situation était devenue intenable»

S’il salue une «victoire d’étape», Namewa Ibrahim, responsable du Comité de coordination des luttes démocratiques, émet aussi des craintes : «La France part du Niger contre son gré, ce ne sera pas sans conséquences.» Lui milite depuis une décennie contre la présence militaire française, après avoir bataillé pour la renégociation en 2007 des contrats miniers liant l’Etat du Niger au groupe nucléaire français Areva (devenu Orano), et incluant notamment une hausse du prix de vente de l’uranium nigérien. Mais «tout a été remis en cause» sous la présidence de Mahamadou Issoufou (2011-2021), «pion de la France officielle», qu’il prend soin de distinguer du «peuple frère français».

Comme à chaque prise de parole sur le Niger, le président Macron a rappelé qu’il avait «parlé au président Bazoum» dans l’après-midi du 24 septembre. Les décisions de retrait des forces françaises et de rappel de l’ambassadeur du Niger sont donc concertées, selon Idrissa Waziri, ancien conseiller du président déchu Mohamed Bazoum. «C’est regrettable vu l’apport des forces françaises dans la lutte antiterroriste, dit-il, mais la situation était devenue intenable». Ce «dégel» n’éloigne pas pour autant, selon lui, le spectre d’une intervention militaire de la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), alors que «la voie diplomatique est mal engagée». Et de préciser : «II n’est pas question d’attaquer le Niger, mais de libérer un homme qui est séquestré». Emmanuel Macron n’a pas évoqué le sujet. Tout au plus a-t-il rappelé la poursuite de la coopération militaire avec des Etats ayant un «agenda clair». «On est là pour lutter contre le terrorisme mais les putschistes sont les amis du désordre.»

Mis à jour le 25 septembre 2023 à 11 h 55 avec d’autres réactions.