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Législatives en Afrique du Sud : après une défaite historique, l’ANC en quête d’une coalition inédite

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Au pouvoir depuis trente ans, le Congrès national africain a perdu, fin mai, sa majorité absolue à l’issue des élections. Un revers historique pour l’ancien mouvement de lutte contre l’apartheid.
La secrétaire génerale adjointe de l'ANC, Nomvula Paula Mokonyane, et le présidente du parti Gwede Mantashe, après l'annonce de résultats très décevants pour le Congrès national africain, à Midrand, samedi. (Alet Pretorius/REUTERS)
par Patricia Huon, correspondante à Johannesburg
publié le 2 juin 2024 à 12h05

La colère des électeurs face à la corruption, les coupures d’électricité, le chômage et la criminalité ont coûté cher au Congrès national africain (ANC), qui a remporté le 29 mai à peine plus de 40 % des suffrages, contre 57,5 % lors des élections précédentes, en 2019. Le verdict est sans appel : une sanction pour le parti, jusque-là hégémonique. Cette élection avait été annoncée comme la plus disputée depuis l’avènement de la démocratie et l’élection de Nelson Mandela, en 1994. Les urnes ont redessiné la carte politique du pays.

Le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique, a obtenu 21 % des voix et arrive en deuxième position. Mais le grand gagnant de ce scrutin, c’est l’ex-président Jacob Zuma : son parti, umKhonto we Sizwe (MK), créé il y a tout juste quelques mois, devient la troisième formation politique du pays, avec près de 15 % au niveau national. Dans le fief de l’ancien chef de l’Etat, la province du Kwazulu-Natal, il obtient près de 45 %, soit deux fois plus que l’ANC.

Le fait que Jacob Zuma, aussi charismatique que sulfureux, ait été déclaré inéligible par la Cour constitutionnelle, en raison de sa condamnation, en 2021, à une peine de prison pour obstruction à la justice, n’a pas empêché ses soutiens de voter pour le parti qu’il incarne. Alors qu’il s’était juré de perturber cette élection, Jacob Zuma, fidèle à son deuxième prénom, Gedleyihlekisa – «celui qui sourit en écrasant ses ennemis» –, a prouvé qu’il bénéficiait encore d’un large soutien populaire, particulièrement auprès de l’électorat zoulou.

Négociations tendues

L’ANC reste néanmoins la plus grande formation politique du pays et il est presque impossible qu’un gouvernement puisse se former sans sa participation. En coulisse, ses dirigeants ont déjà entamé des négociations, qui s’annoncent tendues, avec d’autres partis pour tenter de constituer une coalition – ce qu’ils n’avaient jamais eu à faire jusqu’à présent.

Avec qui l’ANC va-t-il s’associer ? «La préférence aurait été de former une coalition avec de petits partis marginaux pour ne pas avoir à dévier de sa politique», estime François Conradie, analyste sud-africain auprès de Oxford Economics Africa. Mais, avec un score en dessous des pires prévisions pour le parti au pouvoir, cette solution semble désormais exclue pour atteindre une majorité.

Cela ne laisse que trois partenaires potentiels, dont le soutien ne pourra se négocier qu’en échange de difficiles concessions et de postes ministériels. Un gouvernement d’unité avec l’Alliance démocratique (DA), parti de centre droit, offrirait une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Son chef, John Steenhuisen, critique acerbe de l’ANC, n’a pas exclu l’idée d’une alliance pour éviter le «chaos» qu’entraînerait, selon lui, une coalition avec d’autres partis de la gauche radicale qui «produirait les mêmes politiques qui ont détruit le Zimbabwe et le Venezuela».

Mais les deux partis ont des positions inconciliables sur plusieurs sujets. Pour l’ANC, ses politiques de discrimination positive de la population noire dans l’économie, censées corriger les inégalités héritées de l’apartheid, sont «non négociables», alors que beaucoup estiment que le DA favorise les intérêts de la minorité blanche et de la classe moyenne, au détriment des plus pauvres. «Il y a aussi des divergences majeures sur les questions de politique internationale», souligne l’analyste Hlengiwe Ndlovu, qui mentionne les conflits à Gaza et en Ukraine.

Ramaphosa sous pression

De l’autre côté de l’échiquier politique, se trouvent deux partis de la gauche populiste qui font trembler les milieux des affaires et les investisseurs : les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema et le MK de Jacob Zuma. Tous deux prônent la confiscation des terres des fermiers blancs sans compensation et la nationalisation des mines. Julius Malema, le «commandant en chef» de l’EFF qui lorgne le poste de vice-président, a déclaré que son parti, qui a obtenu 9,5 % des voix, était prêt à discuter avec l’ANC. Le MK pose, lui, une condition préalable à tous pourparlers : la démission de Cyril Ramaphosa.

Après avoir mené l’ANC à sa pire performance électorale, le président sud-africain est sous pression et fragilisé, y compris au sein de son parti dont les rivalités et divisions internes risquent d’éclater au grand jour. Une coalition, menacée de s’effondrer au moindre désaccord, pourrait aussi entraîner une instabilité.

La proclamation officielle des résultats doit se faire ce dimanche soir. Jacob Zuma a menacé la Commission électorale de «problèmes» et de «colère» de ses partisans, si cette annonce avait lieu avant que toutes les contestations – dont celles déposées par son parti – concernant les résultats aient été résolues. La Constitution stipule que le Parlement dispose ensuite de deux semaines pour siéger et élire un nouveau président.