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Afrique du Sud

Oscar Pistorius libéré de prison, la famille de sa victime se dit «condamnée à vie»

Violences conjugalesdossier
Dix ans après le meurtre de sa petite amie, Reeva Steenkamp, l’athlète paralympique sud-africain bénéficie d’une libération conditionnelle anticipée. Retour sur une affaire qui a traumatisé un pays, sous le regard du monde entier.
Oscar Pistorius lors de son deuxième procès pour le meurtre de Reeva Steenkamp, en 2013. L’Afrique du Sud compte l’un des plus hauts niveaux de violence envers les femmes au monde. Pour les associations qui luttent chaque jour contre l’impunité, la libération anticipée de l'athlète envoie «un mauvais message». (Alon Skuy/AFP)
par Patricia Huon, correspondante à Johannesburg
publié le 5 janvier 2024 à 8h26

Près de dix ans après le meurtre de sa compagne, Reeva Steenkamp, Oscar Pistorius, ancien champion paralympique sud-africain, est sorti de prison ce vendredi 5 janvier. L’affaire Pistorius, c’est avant tout l’histoire d’un féminicide, un meurtre sexiste qui survient dans l’intimité d’une relation de couple, celle d’une mort brutale et de la douleur d’une famille. C’est aussi l’histoire, après son ascension fulgurante, de la chute vertigineuse d’un sportif modèle, admiré de tous.

L’athlète «a été admis dans le système correctionnel communautaire et il est maintenant chez lui», a déclaré vendredi l’administration pénitentiaire dans un communiqué. «Nous, qui sommes encore là, nous sommes condamnés à vie», a affirmé dans une déclaration écrite la mère de la victime, June Steenkamp. Si la justice a tranché, un goût amer demeure, alors que l’Afrique du Sud compte l’un des plus hauts niveaux de violence envers les femmes au monde. Pour les associations qui luttent chaque jour contre l’impunité, la libération anticipée d’Oscar Pistorius envoie «un mauvais message».

Quatre balles

Amputé des deux jambes à l’âge de 11 mois, Oscar Pistorius était parvenu, malgré son handicap, à se hisser aux sommets de l’athlétisme. Sextuple champion paralympique, il atteindra, muni de ses prothèses en fibre de carbone, les demi-finales du 400 mètres aux Jeux olympiques de Londres en 2012, faisant la fierté de l’Afrique du Sud. Après avoir collectionné les médailles, le sportif empile les contrats publicitaires.

Tout bascule le 14 février 2013, jour de la Saint-Valentin, vers 3 heures du matin. Des cris, puis des coups de feu retentissent. Peu après, le corps de Reeva Steenkamp, une mannequin aux longs cheveux blonds et au visage angélique, est retrouvé, baignant dans une mare de sang, au domicile de l’athlète, dans un quartier ultra-sécurisé de Pretoria, la capitale sud-africaine. Elle était âgée de 29 ans. Le champion paralympique, qu’elle fréquentait depuis quelques mois, l’a abattue de quatre balles, tirées à travers la porte des toilettes.

Oscar Pistorius est arrêté et traduit en justice. C’est le début d’un feuilleton judiciaire, retransmis dans le monde entier, qui a tenu l’Afrique du Sud en haleine. L’athlète a toujours nié avoir voulu assassiner Reeva Steenkamp. Il soutient, jusqu’à aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un «accident», assurant l’avoir prise pour un cambrioleur. Une version à laquelle ne croira pas le tribunal. Le procureur avance la thèse d’une violente dispute qui aurait forcé la victime à se réfugier dans la salle de bains, avec son téléphone portable, et à fermer la porte à clef. Pendant le procès, un côté sombre du sportif est dévoilé : irritabilité, jalousie, passion pour les armes…

«Elle est morte d’une mort horrible, douloureuse, terrible et elle a souffert», a déclaré la mère de la jeune femme, pendant le procès, réagissant aux conclusions de l’expert balistique. Sur le banc des accusés, l’athlète, courbé, les yeux fermés, la tête entre les mains, pleure, tremble et vomit en écoutant la description détaillée des blessures mortelles que les balles qu’il a tirées ont infligées à sa petite amie. Le dieu des stades est tombé de son piédestal. Tout autour de lui, les mêmes caméras qui comptaient ses victoires et ses médailles d’or chassent désormais sa déchéance.

Idole déchue

«Qu’est-il arrivé à cet homme ? C’était une icône, il allait gagner beaucoup d’argent… Il n’a plus gagné un centime depuis. C’est une personne déprimée. Il est brisé», dit Barry Roux, l’avocat du sprinteur sud-africain, alors qu’il plaide en octobre 2014 devant la haute cour de justice de Pretoria. Lâchée par ses sponsors, ruinée, l’idole déchue vend sa maison pour payer sa défense.

D’abord condamné pour homicide involontaire, un jugement considéré comme trop clément par le parquet, Oscar Pistorius est rejugé et finalement condamné pour meurtre, en 2017, par la Cour Suprême. Il écope d’une peine d’un plus de 13 ans de détention - soit un total de 15 ans, en comptant les mois déjà passés en prison.

En Afrique du Sud, les prisonniers peuvent bénéficier d’une libération anticipée après avoir purgé la moitié de leur peine écoulée. En mars, l’an dernier, une première demande de libération conditionnelle avait été rejetée, après un imbroglio sur l’éligibilité d’Oscar Pistorius à celle-ci. Le père de Reeva, Barry Steenkamp, s’y était alors fermement opposé, persuadé qu’Oscar Pistorius n’a jamais dit la vérité sur la nuit où il a abattu sa fille. Il est décédé 6 mois plus tard, le 14 septembre 2023, à 80 ans, sans avoir jamais obtenu les aveux qu’il espérait. Sa femme, June Steenkamp, pense qu’il est mort le cœur brisé.

Cette fois, elle n’a pas eu la force de se rendre à l’audience de la commission ad hoc qui, en novembre, a statué sur le sort de l’athlète. Mais elle a fait lire une déclaration. «J’ai pardonné Oscar depuis longtemps, car j’étais quasi certaine que je n’aurais pas pu survivre si je devais m’accrocher à ma colère, a-t-elle écrit. Je ne crois pas la version d’Oscar. En fait, je ne connais personne qui la croit.».

Liberté conditionnelle

Le passage de l’ancienne superstar en prison aura été moins éprouvant que celui de la plupart des détenus du système pénal sud-africain, particulièrement depuis novembre 2016, lorsqu’il a été transféré au centre correctionnel d’Atteridgeville, un petit établissement pénitentiaire, en banlieue de Pretoria, conçu pour accueillir des détenus non violents condamnés à de courtes peines, et mieux adapté pour répondre aux besoins des personnes handicapées.

Oscar Pistorius y résidait dans une cellule individuelle avec une salle de bains privative et un accès à un potager. Les médias sud-africains suggèrent néanmoins que l’athlète n’est plus que l’ombre de lui-même. Agé de 37 ans, il a perdu sa forme physique pendant son incarcération, a pris du poids, et a été blessé lors d’une bagarre avec un autre détenu, au sujet de l’accès au téléphone de la prison, en 2017. Un an plus tôt, il avait aussi reçu des soins pour des blessures aux poignets. A l’époque, sa famille avait démenti les rumeurs d’automutilation.

S’il ne dormira plus derrière des barreaux, Oscar Pistorius restera sous surveillance pendant six ans. Le département sud-africain des services correctionnels a déclaré que les détails de sa libération ne seraient pas partagés, pour raisons de sécurité. Il devrait vivre dans la capitale, dans la luxueuse villa de son oncle, un homme d’affaires très aisé qui a élevé Oscar Pistorius après la mort de sa mère.

Comme toujours depuis le drame, le «clan» Pistorius fait bloc. Parmi les conditions qui lui sont imposées, il ne pourra pas voyager sans autorisation, boire d’alcool ou s’exprimer dans les médias. Il devra suivre une thérapie régulière, et assister à des formations obligatoires pour gérer ses problèmes de colère et sa tendance à la violence envers les femmes. S’il n’enfreint pas ces règles, il recouvrera pleinement la liberté en décembre 2029.