A force de se concentrer sur l’histoire et le présent tumultueux des relations franco-algériennes, on a tendance à négliger le ressenti des Algériens envers leur propre destinée, de peuple et de nation. L’amertume, le regret, la désillusion et le scepticisme débordent de leurs propos quand ils évoquent leur histoire. Qu’il s’agisse du combat gagné pour l’indépendance de leur pays il y a plus de soixante ans ou de la révolte populaire avortée depuis trois ans pour la liberté et la dignité, les témoins rencontrés par Libération, issus de différentes régions et différentes générations, dressent le même constat d’échec. Pour tous, la déception est à la hauteur des espoirs immenses soulevés à chaque fois que le peuple algérien s’est mobilisé pour un avenir prometteur.
L’accusé principal a le même visage depuis six décennies : un pouvoir tyrannique et de plus en plus corrompu. Qu’ils soient nés sous la colonisation ou qu’ils aient grandi dans le récit national de la libération et le culte des martyrs, les Algériens désignent un même responsable. Etonnant, en effet, de constater à quel point les combats contre le colonisateur français, puis contre le terrorisme islamiste des années 90 et aujourd’hui contre le pouvoir en place se confondent. Comme si ces adversaires, malgré leur diversité, s’étaient succédé pour étouffer les aspirations du peuple et le priver d’horizon. Les dirigeants qui se présentent en héros de la libération nationale sont quasiment assimilés aujourd’hui au