Une grâce présidentielle très attendue. Une trentaine de détenus d’opinion ont été libérés en Algérie, ce vendredi, a annoncé le ministre de la Justice algérien. Ces libérations interviennent au lendemain du discours à la nation prononcé par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Le chef de l’Etat a décrété la libération de plusieurs dizaines de prisonniers du Hirak. Le mouvement de contestation populaire inédit contre le régime algérien, débuté le 22 février 2019, qui a notamment forcé l’ex-homme fort du pays, Abdelaziz Bouteflika, à renoncer à un cinquième mandat présidentiel et à quitter le pouvoir.
«Le Hirak béni a sauvé l’Algérie. J’ai décidé d’accorder la grâce présidentielle à une trentaine de personnes pour lesquelles une décision de justice avait été rendue ainsi qu’à d’autres pour lesquelles aucun verdict n’a été prononcé, a indiqué le président Abdelmadjid Tebboune à la télévision, jeudi soir. Entre 55 et 60 personnes rejoindront à partir de ce soir ou demain leur famille.» Selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien, quelque 70 personnes sont actuellement en prison en lien avec le Hirak et les libertés individuelles. Leurs poursuites sont fondées dans au moins 90% des cas sur des publications critiques envers les autorités sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, la présidence a précisé que la grâce présidentielle concernait les «auteurs de crimes liés aux technologies de l’information et de la communication», sans divulguer de noms.
Dès les premières heures du jour, ce vendredi, familles, proches, journalistes et militants se sont rassemblés devant la prison de Koléa, à l’ouest d’Alger. Parmi les prisonniers libérés figure le journaliste Khaled Drareni, devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie, condamné à deux ans de prison en septembre dernier. «Il est libre», a déclaré Abdelghani Badi, l’un des avocats du correspondant en Algérie de la chaîne TV5 Monde et de Reporters sans frontières (RSF), en précisant qu’il s’agissait d’une mesure de «liberté provisoire».
Des photos et vidéos relayées sur les réseaux sociaux montrent des détenus retrouvant leurs proches dans plusieurs régions du pays. Selon le militant Zaki Hannache, engagé dans la défense des prisonniers d’opinion, les libérations ont notamment eu lieu dans les wilayas (préfectures) de Bordj Bou Arreridj, Tébessa, M’Sila (est), Saïda (ouest), ainsi que dans le sud, à Tamanrasset et Adrar.
Succession d’annonces
Au cours de son discours, le Président a par ailleurs annoncé la dissolution du Parlement et a appelé à des élections législatives anticipées afin «d’ouvrir ses portes à la jeunesse». Ces élections, initialement prévues en 2022, devraient finalement avoir lieu d’ici à septembre. Le chef de l’Etat a également promis un remaniement ministériel «dans les quarante-huit heures au maximum». «Ce remaniement concernera des secteurs qui enregistrent des déficits dans leur gestion ressentis par les citoyens et nous-mêmes», a-t-il expliqué.
De retour il y a une semaine d’Allemagne, où il était soigné pour des complications post-Covid, Abdelmadjid Tebboune avait tenu depuis des consultations avec six partis politiques, dont des formations de l’opposition. Toutefois, aucun des deux partis majoritaires au Parlement, le Front de libération nationale (FLN) et le RND (Rassemblement national démocratique), n’a été reçu par le Président. La raison : leur impopularité liée à leur proximité avec l’ex-président Bouteflika et son clan.
Contexte tendu
Ces décisions interviennent alors que les appels à manifester se multiplient dans le pays pour le deuxième anniversaire du Hirak. Une partie des Algériens dénoncent le maintien d’un système répressif à l’encontre des opposants, des médias indépendants et des blogueurs orchestrés par le pouvoir. Ils pointent aussi du doigt la gestion de la crise politique, sanitaire et économique que traverse le pays.
«Ces annonces sont dans les tuyaux depuis deux ans. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. On peut s’interroger sur les intentions du gouvernement. Les Algériens craignent que ces mesures aident le pouvoir en place à harceler ses opposants sur le plan juridique, explique Luis Martinez, spécialiste du Maghreb au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po Paris. C’est-à-dire en adoptant la méthode Ben Ali : emprisonner et puis gracier. Une stratégie qui pourrait permettre au Président de se maintenir au pouvoir plus longtemps.» Il rappelle que le mécontentement social est toujours très fort, notamment contre «l’interdiction de certains commerces en raison de la crise sanitaire», dans ce pays où l’économie informelle est très présente. «Aujourd’hui, le Hirak a du mal à se rendre compte qu’il a peu de poids sur le système politique algérien. Et ceci même s’il a poussé l’armée à se débarrasser de pratiquement tout le clan Bouteflika», poursuit Luis Martinez, qui souligne que «l’armée occupe une place importante dans l’appareil d’Etat algérien», et que «ce ne sont pas des manifestations qui vont les pousser à abandonner leurs privilèges ou les faire fuir». «C’est pour cela que la frustration du peuple sera toujours là.»
Mardi, des milliers de personnes se sont rassemblées à Kherrata, dans l’est de l’Algérie, le berceau du mouvement Hirak, malgré l’interdiction de manifester et la pandémie de Covid-19. Ils réclamaient «un Etat civil», «la liberté de la justice», «la liberté d’expression et de presse» et la libération des détenus d’opinion. Le peuple algérien prévoit de manifester à nouveau lundi prochain, deux ans jour pour jour après la naissance de la contestation du Hirak.
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