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Embrasement

Angola : à Luanda, deux jours d’émeutes meurtrières contre la hausse du prix du carburant

Dans la capitale du pays frappé par l’inflation, vingt-deux personnes ont été tuées lundi 28 et mardi 29 juillet, alors que la grève des taxis collectifs a tourné à l’affrontement avec la police et au pillage des magasins d’alimentation.
Manifestation à Luanda, capitale de l'Angola, le 26 juillet 2025. (Julio Pacheco Ntela /AFP)
publié le 30 juillet 2025 à 16h54

Pour la troisième journée consécutive, les taxis bleu et blanc emblématiques de Luanda sont en grève. Lundi 28 et mardi 29 juillet, leurs actions de protestation contre la hausse des prix du carburant ont tourné à l’émeute et au pillage dans la capitale angolaise. Vingt-deux personnes ont été tuées en deux jours, dont un policier, et plus de 1 200 autres ont été arrêtées, a annoncé le ministre de l’Intérieur. Une troisième journée de contestation était annoncée ce mercredi 30 juillet. La plupart des magasins et des commerces sont restés fermés.

Comme dans plusieurs pays d’Afrique ces dernières années, l’étincelle a été l’annonce d’une hausse des prix du carburant. Le Nigeria a récemment connu des mouvements de protestation similaires. Dans ces pays producteurs de pétrole (le Nigeria est le premier du continent, l’Angola le second), l’essence est largement subventionnée par l’Etat, et représente un gouffre pour le budget national. Les gouvernements tentent de supprimer ou d’alléger ces subventions, plus ou moins brutalement.

«Des émeutes de la faim»

En Angola, le prix du litre de carburant est passé de 300 à 400 kwanzas (de 0,28 à 0,38 euro) en juillet, soit une augmentation de plus de 30 %. En conséquence, celui des candongueiros, les minibus qui servent de taxis collectifs, a bondi de 50 %. «L’offre de transports publics à Luanda est très insuffisante, les gens dépendent des taxis partagés pour se déplacer, ils n’ont pas le choix, explique le chercheur Michel Cahen, historien spécialiste de l’Afrique lusophone et directeur de recherche émérite au CNRS. Certains dépensaient déjà la moitié de leur maigre salaire dans les transports. Avec la hausse des prix, il ne leur reste plus rien.»

La grève des taxis, qui s’annonçait comme un mouvement pacifique, a rapidement dégénéré. Lundi, des affrontements ont éclaté avec la police. Des actes de vandalisme, et surtout de pillage, ont été signalés dans plusieurs quartiers de Luanda, ainsi que dans la seconde ville du pays, Huambo. Plusieurs supermarchés ont été dévalisés. «Les cibles sont des magasins d’alimentation, pas les boutiques de luxe ou de téléphonie. Ce sont des émeutes de la faim», souligne Michel Cahen. «La situation sécuritaire est considérée comme stable», a affirmé mardi soir le porte-parole de la police, Mateus Rodrigues, contre toute évidence.

Main de fer

Le puissant parti MPLA, qui dirige le pays d’une main de fer depuis l’indépendance en 1975, est aujourd’hui très impopulaire dans la capitale. Lors des dernières élections générales, en 2022, qui avaient offert un second mandat au président João Lourenço, la province de Luanda avait voté massivement en faveur de l’opposition : l’Unita, vieux rival du MPLA, avait récolté officiellement 62 % des suffrages. Une première. «Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, en 2002 [qui s’est terminée par la victoire du MPLA sur l’Unita, ndlr], la scène politique angolaise n’est plus structurée par le conflit armé qui a déchiré le pays pendant trente ans», rappelle Michel Cahen.

Au terme de son second mandat, en 2027, João Lourenço ne sera pas autorisé à se représenter, selon la Constitution. «Le MPLA a aujourd’hui très peur de perdre le pouvoir», poursuit le chercheur. Le Président avait promis de diversifier l’économie angolaise, ultra-dépendante de la rente pétrolière. Mais en 2024, les hydrocarbures représentaient toujours 90 % des exportations du pays, et 70 % des revenus de l’Etat. La forte inflation (près de 20 % en juin) est difficilement supportable pour les plus pauvres, tandis que le taux de chômage officiel a atteint presque 30 %, selon l’autorité nationale des statistiques.

«La principale déception, pour les citoyens angolais, c’est l’aggravation de la situation économique et sociale, estime Michel Cahen. Le seul secteur qui a été favorisé, ces dernières années, est celui de l’agrobusiness. Mais il a laissé sur le carreau les petits paysans, qui viennent gonfler les rangs des travailleurs pauvres de la capitale.» Ceux-là mêmes qui manifestent depuis lundi.