La première collision avait fait l’effet d’un électrochoc national. Le 8 janvier, les Sénégalais ont appris la mort de 42 de leurs concitoyens dans un accident de la circulation impliquant deux bus dans la région de Kaffrine (centre-ouest du pays), à 3 heures du matin, lié à l’éclatement d’un pneu, selon l’enquête. Le drame routier le plus meurtrier de ces dernières années au Sénégal. Dans la foulée, le président Macky Sall a décrété trois jours de deuil national ainsi qu’une armada de mesures pour améliorer la sécurité sur les routes. Huit jours plus tard, ce lundi, dans la région de Louga (nord), vers 6 heures du matin, 21 personnes ont été tuées dans un nouvel accident, un choc entre un bus et un camion. Un témoin rapporte que le car avait fait un écart pour éviter un âne.
Vétusté du parc automobile, non-respect des règles de circulation, corruption répandue parmi les agents chargés de faire respecter les lois ou passer le permis de conduire… ces deux tragédies ont brutalement mis en lumière les défaillances liées à la sécurité routière au Sénégal. Sous le feu des critiques, le gouvernement avait réagi promptement en annonçant une vingtaine de réformes dès le lendemain de l’accident de Kaffrine. Parmi elles, l’interdiction pour les véhicules de transport collectifs interurbains de circuler entre 23 heures et 5 heures du matin, l’interdiction d’importer des pneus usagés, la création d’une structure de contrôle routier, la gratuité du contrôle technique pour les véhicules de transport et de marchandises, etc.
«Ça va engendrer de grosses pertes financières»
Face à la bronca des professionnels du transport, les autorités ont cependant dû rétropédaler sur deux points : l’interdiction des porte-bagages sur les toits des bus (qui surchargent et déséquilibrent les engins) ; et la limitation de la durée d’exploitation à dix ans pour les véhicules de transport collectif, et à quinze ans pour les véhicules de transport de marchandises. Masseck Ndiaye, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l’opérateur public de transports en commun Dakar Dem Dikk, reconnaît que «les accidents sont causés avant tout pour deux raisons : la vétusté des véhicules et le manque de formation des chauffeurs». Au Sénégal, le parc automobile compte plus de 90 000 véhicules de plus de vingt-cinq ans, dont 45 000 ont de plus de trente-cinq ans. Le syndicaliste qualifie les nouvelles mesures de «drastiques» : «La plus décriée, c’est l’interdiction de rouler de nuit, car ça va engendrer de grosses pertes financières pour les transporteurs.»
Une partie d’entre eux menacent de se mettre en grève à compter de mardi. Le début d’un probable bras de fer avec le gouvernement. «Le syndicat des transporteurs est très puissant. Des délais supplémentaires ont été demandés pour l’application de certaines mesures», indique Ousmane Sylla, directeur général de Dakar Dem Dikk, dont aucun des 2 900 employés ne devrait faire grève. Lui appelle au contraire à accélérer dans l’application des mesures gouvernementales. «Il faut arrêter d’être complaisants face à certaines situations, comme la surcharge des bus, les excès de vitesse ou le manque de formation des chauffeurs», estime-t-il. Le second accident, lundi matin, qui a provoqué une nouvelle vague d’émotion nationale, vient renforcer les tenants de la ligne dure. «Cela met en évidence la nécessité de renforcer les mesures de sécurité routière», a tweeté le chef de l’Etat quelques heures après le drame.
Au Sénégal, les accidents de la route tuent en moyenne 700 personnes chaque année, selon le décompte du gouvernement. Nombre d’entre eux surviennent la nuit. Selon la Banque mondiale, le pays accusait en 2019 une mortalité sur les routes de 24 pour 100 000 habitants (et 27 pour 100 000 pour l’Afrique subsaharienne), soit quatre fois plus que le taux moyen de l’Union européenne.