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Cui-cui

Après sept mois de suspension, Twitter pépie de nouveau au Nigeria

Ce jeudi, les internautes du pays le plus peuplé d’Afrique sont de retour sur le réseau social. Il avait été suspendu par les autorités après la suppressions de deux tweets du chef de l’Etat contrevenant aux règles de la plateforme.
Lors d'une manifestation à Lagos le 12 juin dernier, après la suspension de Twitter. (Pius Utomi Ekpei/AFP)
publié le 13 janvier 2022 à 19h09

Explosion de joie en moins de 280 caractères. Ce jeudi, sous le hashtag #TwitterBanLifted, la twittosphère nigériane a de nouveau pu se réunir. «Nous sommes de retour», «retournons sur Twitter comme si nous ne l’avions jamais quitté» ou encore «ça fait du bien de revenir chez soi», peut-on lire sur le réseau social. Pendant sept longs mois, l’oiseau bleu s’est vu couper le sifflet dans le pays. Mais, ce mercredi, les autorités ont annoncé avoir finalement levé la suspension du réseau.

Pour en arriver là, il aura fallu des mois de négociations. Désormais, le Nigeria affirme que Twitter aurait accédé à «toutes les conditions fixées par le gouvernement fédéral», notamment en matière de taxation et de gestion des contenus ne respectant pas les lois nationales. Le site se serait également «engagé à établir une entité légale au Nigeria durant le premier trimestre de 2022».

Signe de cette nouvelle relation entre le réseau social et les autorités, la présidence et les membres du gouvernement nigérian ont recommencé à tweeter dès jeudi matin. «Permettez-moi de me joindre à mes compatriotes pour saluer la résolution de l’impasse entre le gouvernement fédéral du Nigeria et Twitter Inc», a ainsi écrit Garba Shehu, porte-parole officiel du président. Le chef de l’Etat, Muhammadu Buhari, n’a lui pas encore repris la plume numérique.

Pourtant, l’annonce de la suspension du réseau, en juin dernier, était intervenue deux jours après la suppression d’un de ses tweets. Il menaçait de «traiter avec un langage qu’ils comprennent» les responsables des violences dans le sud-est du Nigeria - attribuées par les autorités à des séparatistes igbos -, ravivant les terribles souvenirs de la guerre du Biafra qui a fait plus d’un million de morts dans les années 1960. Buhari, à l’époque général, avait violemment combattu la rébellion. Un million de personnes ont été tuées dans ce conflit qui avait provoqué une terrible famine. Le chef de l’Etat les accuse d’être aujourd’hui responsables des violences dans le sud-est du pays.

Les VPN remerciés

Les autorités avaient alors annoncé la suspension de Twitter pour «une durée indéterminée» après avoir notamment accusé le réseau social d’avoir une «mission suspecte» contre le gouvernement nigérian, et de tolérer sur sa plateforme les messages du chef d’un groupe séparatiste incitant à la violence dans le sud-est du Nigeria. La suspension de Twitter avait été suivie par un ordre du gouvernement aux médias audiovisuels de supprimer leur compte dans un geste «patriotique». Ce jeudi, certains, comme Channels TV, faisaient leur retour sur le réseau.

A l’époque, les décisions avaient suscité une profonde consternation au Nigeria. 75 % de la population du pays est âgée de moins de 24 ans et est ultra-connectée. Environ 20 % de la population - soit 40 millions de personnes - dit avoir un compte Twitter. En outre, le réseau est aussi un outil de contestation sociale. Ces dernières années, la plateforme avait joué un rôle important dans le débat public, avec des hashtags qui ont eu un grand écho, comme #BringBackOurGirls («Ramenez nos filles»), devenu viral lors de l’enlèvement de 276 écolières par le groupe jihadiste Boko Haram en 2014, ou #EndSARS, qui a donné en 2020 son nom au vaste mouvement contre les brutalités policières et contre le pouvoir.

Ainsi, parmi les internautes heureux de tweeter à nouveau, certains - dont notamment les associations de défense de droits humains - critiquaient la décision initiale du gouvernement de suspendre le réseau social. «Amnesty International se réjouit de la décision des autorités nigérianes de lever l’interdiction de Twitter», a tweeté l’organisation, soulignant que «cette interdiction était illégale […] et était une attaque au droit à la liberté d’expression».

«La levée de l’interdiction ne fera pas oublier aux Nigérians l’intolérance du président Buhari envers les libertés démocratiques», a publié l’ONG Nigérians Concernés. L’Union européenne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le Canada avaient aussi déploré la suspension de Twitter. Enfin, d’autres voix critiquaient le coût économique de cette suspension, alors que de nombreux internautes utilisent le site pour leur petit commerce en ligne.

Pour pallier, la population s’était organisée sur d’autres réseaux sociaux comme Clubhouse ou Facebook, sous le hashtag #KeepItOn. Un très grand nombre de nigérians avaient téléchargé des VPN (réseau privé virtuel), permettant l’accès à Twitter partout dans le monde. Ce jeudi, des milliers remerciaient - non sans humour - leur VPN d’avoir maintenu leur accès au réseau.

De son côté, l’entreprise, dont la direction a récemment été reprise par Parag Agrawal, a indiqué être «heureuse que Twitter ait été rétabli pour tout le monde au Nigeria». Un de ses porte-parole a ajouté : «Notre mission au Nigeria - et partout dans le monde - est de servir la conversation publique. Nous sommes profondément engagés au Nigeria, où Twitter est utilisé par les gens pour le commerce, l’engagement culturel et la participation civique.» L’oiseau bleu à deux doigts de roucouler.