C’était au début de l’été 2019, Ganiou Soglo était venu à Libération pour parler de son pays, le Bénin. Cet élégant quinquagénaire, qui fut deux fois ministre, s’inquiétait déjà du climat délétère qui régnait chez lui et avait culminé avec les élections législatives quelques mois plus tôt, marquées par la coupure d’Internet, une violente répression et une abstention record. Il évoquait également des menaces, ce qui ne l’empêcherait pas «de rentrer au Bénin», avait-il assuré. Cette année, il est même candidat à l’élection présidentielle prévue le 11 avril. Il avait aussi parlé de sa ferme à 35 kilomètres de la capitale, dont il était très fier.
C’est là qu’il se rendait vendredi soir, quand son véhicule s’est retrouvé face à un tronc d’arbre obstruant la route. Alors que son chauffeur tente de le contourner, des tirs retentissent faisant exploser les vitres. Un coup d’accélérateur a permis à la voiture d’échapper miraculeusement aux assaillants. Hospitalisé en urgence, Ganiou Soglo a toujours une balle logée près du cœur dans le thorax, mais ses jours ne seraient plus en danger.
Alternance politique dans le calme
Une enquête a bien sûr été ouverte. Reste que cette tentative de meurtre est inquiétante. Le Bénin n’est ni le Libéria, ni la Somalie. En 1990, ce petit pays coincé entre le Togo et l’immense Nigéria, donnait même l’exemple en étant le premier pays d’Afrique francophone à organiser une «conférence nationale», qui mettra fin au règne du parti unique. Aujourd’hui âgé de 59 ans, Ganiou Soglo, est d’ailleurs le fils cadet de l’ancien président Nicéphore Soglo, dont l’élection en 1991, consacrera le retour de la démocratie au Bénin.
Par la suite, et pendant plus de deux décennies, l’alternance au pouvoir s’y déroulera dans le calme, malgré les polémiques qui finiront par émerger sur la corruption ou l’usure des élites politiques. Ces critiques furent justement les thèmes de campagne de Patrice Talon lors des élections de 2016, qui ont permis à cet outsider d’accéder au pouvoir, malgré un passé parfois sulfureux. Venu du monde des affaires et réputé l’homme le plus riche du pays, il se présente alors comme le symbole d’un renouveau pragmatique, débarrassé des vieilles compromissions politiques. De Berlusconi à Trump, d’autres pays ont cédé à cette tentation de l’efficacité prétendue de milliardaires reconvertis en politiques. Avant de le regretter. Mais au Bénin, les regrets ne suffisent plus.
Car peu après son investiture, Talon va s’employer à «réduire les contre-pouvoirs démocratiques afin d’approfondir et d’étendre son pouvoir», soulignait en ce début d’année, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, un think tank lié au Département de la défense américain. Le nouveau patron du pays va ainsi promulguer des réformes institutionnelles qui vont écarter l’opposition du jeu politique.
Trafic de cocaïne
Pour lutter contre la corruption, il met ainsi en place en 2018, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRET). On retiendra qu’elle permettra surtout de contraindre à l’exil deux importants challengers du président, l’ex-ministre Komi Koutché et l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, condamnés chacun à vingt ans de prison dans une affaire présumée de détournements de fonds et de trafic de cocaïne. Une modification du code électoral impose désormais de nouvelles exigences financières (une caution de 300 000 euros) et administratives (notamment un «certificat de conformité» délivré par le ministère de l’Intérieur), qui vont limiter la participation aux législatives d’avril 2019 à deux seuls partis, proches de la mouvance présidentielle.
Pour la présidentielle du 11 avril, une révision constitutionnelle de 2019 contraint les candidats à s’assurer les parrainages d’au moins 10 % des députés et des maires. Mais comment les obtenir alors qu’aucun député et seuls six maires font partie de l’opposition ?
Ganiou Soglo avait déposé sa candidature sans présenter de parrainages, défiant ces nouvelles règles, qu’il juge «inconstitutionnelles». Jusqu’à ce vendredi où il a été la cible d’une tentative de meurtre. Depuis son lit d’hôpital, il a réitéré sa volonté de «poursuivre son combat», mais s’est refusé à spéculer sur les commanditaires de cette embuscade qui aurait pu lui être fatale. Reste que cette agression intervient dans un climat déjà tendu. «Rien que depuis le début de l’année, une dizaine d’opposants et d’activistes ont été arrêtés», rappelle Léonce Houngbadji, un opposant qui a fui le Bénin en octobre 2018, après avoir appris qu’il était ciblé par un projet d’assassinat.
Lundi, une ONG des droits de l’homme basée à Paris, les Volontaires pour la démocratie et les droits humains, a déposé un dossier à la Cour Pénale Internationale (CPI), demandant l’ouverture d’une enquête pour «crimes contre l’humanité» au Bénin.