Dans le jardin de l’hôtel Residences de Palma, des petits cailloux blancs ont été disposés pour former un grand SOS visible depuis le ciel, dans l’espoir qu’un hélicoptère se pose et vienne secourir clients et personnel. Depuis le 24 mars, cette petite ville de l’extrême-nord du Mozambique est attaquée par un groupe d’au moins une centaine de jihadistes armés, connu sous le nom d’Al-Shebab («les jeunes», en kiswahili). Venus simultanément des trois axes majeurs d’entrée dans Palma, ils s’en sont d’abord pris au poste de police, à l’hôpital et aux banques.
A leur arrivée dans la ville, «les gens se sont mis à courir et à crier : «Les shebab sont là, ils tuent tout le monde.» Certaines personnes ont pris leurs affaires et sont allées vers la brousse, d’autres couraient vers la plage», a raconté un vendeur du marché à Human Rights Watch. «Il semble que l’attaque ait été très coordonnée, comme celle de l’an dernier à Mocimboa da Praia [une ville située plus au sud, ndlr]. Pendant plusieurs jours, les insurgés ont infiltré Palma et sont restés avec leurs soutiens locaux. Ils ont attaqué en trois groupes mercredi, et ils ont ensuite reçu le soutien d’autres hommes arrivés en camions», écrit Joseph Hanlon, professeur à l’Open University, dans sa newsletter «Mozambique News Reports and Clippings».
«Au moins une douzaine d’étrangers ont été tués»
L’armée mozambicaine, appuyée par une société privée de sécurité sud-africaine, a tenté de reprendre la ville aux assaillants mais il semble que les voies d’accès à Palma soient contrôlées par les jihadistes. Selon l’AFP, ils seraient passés seuls maîtres de la ville samedi et les forces gouvernementales se seraient retirées. L’une des dernières opérations menée par l’armée semble avoir consisté à secourir 180 personnes réfugiées depuis le début de l’attaque dans l’hôtel Amarula. Un convoi de 17 véhicules est venu à leur rescousse le 27 mars pour les évacuer vers la plage, mais il a ensuite été pris dans une fusillade qui a fait au moins sept morts.
«Pour la première fois, les insurgés ont pris pour cible les étrangers [qui sont relativement nombreux à Palma en raison de la création d’une exploitation gazière dans la région, ndlr]. Les détails manquent mais au moins une douzaine de Britanniques, de Sud-Africains et d’autres étrangers qui travaillaient sur le projet gazier ont été tués», écrit aussi Joseph Hanlon.
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Le bilan total et précis de l’attaque reste pourtant très difficile à établir, le réseau téléphonique ayant été coupé dans la zone, mais il risque de s’alourdir dans les jours à venir. Plusieurs témoignages recueillis par les agences de presse et des ONG font écho de morts dans les rues. Une bonne partie des 75 000 habitants de la ville a tenté de prendre la fuite, en se cachant dans la brousse ou les mangroves, ou en rejoignant la plage, qui semble être restée hors de contrôle des jihadistes pendant plusieurs jours. Selon les informations accessibles sur le site Marine Traffic, des dizaines de bateaux de toutes sortes – du cargo au remorqueur – se sont déroutés vers la baie de Palma pour secourir les personnes bloquées sur la plage. D’autres bateaux sont partis directement depuis la ville. Ils ont ensuite tous fait route vers le port de Pemba, situé plus au sud, hors de portée des jihadistes.
Des jihadistes de plus en plus présents
Cette région du Cabo Delgado, la seule du pays à majorité musulmane, vit depuis 2017 au rythme des affrontements entre l’armée et le groupe Al-Shebab. A l’origine, ce groupe n’était qu’une secte musulmane, créée en 2007, qui a peu à peu basculé dans la violence armée au fil des répressions menées contre elle par le pouvoir. En quelques années, son emprise s’est étendue. Al-Shebab, qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est passé d’embuscades contre des postes de police à l’attaque de villes entières, comme l’an dernier quand Mocimboa da Praia est tombée sous son contrôle une première fois en avril pour quelques jours, puis plus durablement en août. Ce lundi le groupe Etat Islamique (EI) a revendiqué l’attaque dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux, affirmant selon le Guardian avoir provoqué la mort de 55 personnes parmi les forces de police locale et les «chrétiens», et la destruction de bâtiments publics et de banques. L’ONU, qui condamne «fermement les attaques», s’est dite «profondément préoccupée par la situation toujours en évolution à Palma». Tandis que Washington se disait «déterminé» à assister le gouvernement mozambicain, sans préciser de quelle manière.
Sans être sous la mainmise directe des jihadistes, Palma subissait déjà les conséquences de leur activité dans la région. Au moins 2 600 personnes ont été tuées dans la province de Cabo Delgado, selon l’ONG Acled, et plus de 600 000 personnes ont fui leur village. Plusieurs milliers d’entre elles s’étaient réfugiées à Palma, pour laisser derrière elles les viols, les enlèvements et les décapitations perpétrés par Al-Shebab. Avant l’attaque la plus récente régnaient déjà l’angoisse et la faim dans la ville. Les attaques sur la route qui la relie au sud du pays se sont multipliées et ont largement compliqué l’approvisionnement en nourriture. En janvier dernier, un convoi de vivres et de produits de première nécessité escorté par l’armée avait été le premier à atteindre Palma en plus d’un an.
Dans ce contexte tendu, les travaux destinés à lancer l’exploitation d’immenses réserves de gaz offshore, au large des côtes nord du Mozambique, sont largement compliqués. Le site de Afungi, où doit commencer l’exploitation gazière d’ici 2024, n’est qu’à dix kilomètres de Palma, et ses installations sécurisées ont servi de refuge à quelques habitants de la ville. Total, qui est le principal actionnaire du projet, avait annoncé la reprise des travaux le matin même de l’attaque sur Pemba, après avoir évacué son personnel à la fin de l’année 2020 suite à de précédents affrontements. Le géant français «ne déplore pas de victimes», mais va réduire au strict minimum ses employés sur site.