Un bilan incertain mais certainement lourd. Au moins 40 agriculteurs ont été tués par des jihadistes de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap, selon son acronyme en anglais) dans l’Etat du Borno, situé au nord-est du Nigeria, selon un bilan officiel daté de ce lundi 13 janvier, même si plusieurs sources locales comptabilisent une soixantaine de morts supplémentaires.
La veille, le dimanche 12 janvier, les jihadistes ont rassemblé en fin de journée des dizaines d’agriculteurs dans la localité de Dumba, sur les rives du lac Tchad, avant de les abattre, a relaté Usman Tar, commissaire à l’information de l’Etat de Borno, dans un communiqué. «Les premières conclusions indiquent qu’environ 40 fermiers ont été tués», a-t-il conclu.
Un terreau du jihadisme
En réponse, le gouvernement de l’Etat endeuillé a ordonné aux troupes militaires qui combattent les jihadistes dans la région «de traquer et d’anéantir les éléments insurgés» qui prospèrent autour de Dumba et de leurs enclaves dans la région du lac Tchad, a précisé Usman Tar. L’Etat du Borno est notamment connu pour être l’épicentre de l’insurrection jihadiste de Boko Haram et de son rival, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest, passé à l’action en ce début d’année.
Décrypatge
Les agriculteurs «se sont éloignés» de la limite de sécurité fixée par les troupes pour l’agriculture et la pêche dans cette zone dominée par l’Iswap et Boko Haram, parsemée de mines terrestres et «sujette aux attaques nocturnes», a ajouté le commissaire. Le lac Tchad, à cheval sur le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad, sert de sanctuaire aux groupes jihadistes qui l’utilisent comme base pour lancer des attaques dans ces pays.
Selon un rapport confidentiel des renseignements nigérians portant sur cette dernière attaque, consulté par l’AFP, «le nombre de victimes pourrait dépasser les 100 personnes tuées». Ce chiffre a notamment été confirmé par Babakura Kolo, un responsable d’une milice anti-jihadiste locale, qui a rejeté le bilan de 40 morts fourni par le commissaire à l’Information de l’Etat de Borno, estimant qu’il s’agissait d’une «sous-estimation grossière». «Nous parlons de plus de 100 personnes tuées dans l’attaque», a-t-il avancé.
Guerre des clans
Les agriculteurs tués venaient de la région de Gwoza, à la frontière avec le Cameroun dans l’espoir de cultiver du niébé (une sorte de haricot) et des oignons sur les rives du lac d’eau douce, connu pour ses terres fertiles. «Les fermiers avaient un accord avec Boko Haram pour cultiver près de Dumba sur les rives du lac», mais «ils ignoraient» s’être aventurés dans un territoire contrôlé par l’autre groupe terroriste, l’Iswap, a expliqué Babakura Kolo.
Pour punir l’intrusion des agriculteurs sur leur territoire sans autorisation ni paiement des taxes qu’ils imposent habituellement aux agriculteurs, aux pêcheurs et aux éleveurs qui souhaitent travailler dans la zone qu’elle contrôle, «les combattants de l’ISWAP ont été furieux de découvrir que les fermiers avaient versé de l’argent à Boko Haram pour cultiver dans la région [...] et ont ouvert le feu sur eux», a déclaré le responsable de l’armée locale.
Anciens alliés, les deux groupes se livrent à des luttes intestines meurtrières pour le contrôle du territoire depuis leur scission en 2016 en raison de divergences idéologiques qui ont conduit à l’assassinat du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, lors d’affrontements dans son enclave de la forêt de Sambisa en mai 2021. L’Iswap a délogé Boko Haram de son bastion traditionnel de la forêt de Sambisa, forçant les militants rivaux à s’installer sur des îles du côté nigérien du lac Tchad.
L’Iswap et Boko Haram prennent de plus en plus souvent pour cible les agriculteurs, les pêcheurs, les bûcherons, les éleveurs et les collecteurs de ferraille, les accusant d’espionner et de transmettre des informations à l’armée et aux milices locales qui les combattent. Depuis 2009, le conflit jihadiste a fait plus de 40 000 morts et environ deux millions de déplacés dans le nord-est du Nigeria.
Mise à jour : à 17 h 10, avec des précisions sur les sources locales faisant état d’un bilan plus meurtrier que celui du gouvernement nigérian et une contextualisation du conflit entre les deux groupes jihadistes.