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Libération
Harcèlement

Au Nigeria, le pouvoir barre l’accès au Parlement à la sénatrice et icône féministe Natasha Akpoti-Uduaghan

L’élue avait été suspendue pour avoir accusé le président du Sénat de harcèlement sexuel. Malgré une décision de justice ordonnant sa réadmission, la police l’a empêchée de pénétrer dans le Parlement, mardi 22 juillet.
La sénatrice Natasha Akpoti-Uduaghan, chez elle à Abuja, au Nigeria, le 29 mars 2025. (Taibat Ajiboye /The New York Times. Redux. REA)
publié le 23 juillet 2025 à 20h10

Un nouvel affront. La sénatrice Natasha Akpoti-Uduaghan a été empêchée d’entrer dans le bâtiment du Parlement nigérian, mardi 22 juillet, qui abrite le Sénat et l’Assemblée nationale à Abuja, la capitale. Elle avait été suspendue de ses fonctions pour six mois, en avril, après avoir accusé le président du Sénat, Godswill Akpabio, de harcèlement sexuel. Pour les féministes, «l’affaire Natasha», qui a fait la une des journaux nigérians, est devenue un symbole du traitement dégradant réservé aux femmes dans la sphère politique.

Mardi 22 juillet, l’entrée du Sénat lui a été bloquée par une dizaine de policiers armés. Déterminés à ne pas la laisser passer, des agents de sécurité ont par ailleurs empêché sa voiture de pénétrer dans l’enceinte. Face aux grilles closes, Natasha Akpoti-Uduaghan, accompagnée de quelques partisans, s’est adressée aux journalistes qui filmaient la scène.

Sanction opportune

L’élue de 45 ans affirme être dans son bon droit. La Haute Cour fédérale d’Abuja a en effet ordonné, le 4 juillet, sa réintégration au Sénat. Le tribunal a qualifié sa sanction – justifiée à l’époque par une prétendue «faute grave» survenue lors d’un échange houleux, le 6 mars, au moment d’une réattribution des places dans l’hémicycle – d’«excessive». La Chambre haute lui avait également retiré ses indemnités et son service de sécurité. Dans une lettre, le Sénat a nié tout lien avec les accusations portées contre Godswill Akpabio, invoquant une suspension «pour faute grave et indiscipline, et non à la suite des allégations de harcèlement sexuel». Mais la sanction avait été opportunément prononcée le lendemain de l’ouverture d’une procédure interne contre le président du Sénat…

Quelques jours après son renvoi, Natasha Akpoti-Uduaghan avait déclaré à la BBC avoir «été punie pour avoir parlé» avant d’ajouter : «Le président du Sénat dirige le Sénat comme un dictateur et non comme un démocrate. Il n’y a pas de liberté de parole, il n’y a pas de liberté d’expression et quiconque ose s’opposer à lui se fait tailler en pièces.» Refusant d’être réduite au silence, la sénatrice et ancienne avocate a depuis multiplié les interventions médiatiques. Elle est soutenue par un réseau de militantes féministes très actif au Nigeria, et à l’étranger. La parlementaire a notamment défendu son cas, à la mi-mars, la voix tremblante, lors d’une réunion de l’Union interparlementaire des Nations unies.

Le pouvoir nigérian semble s’acharner contre la sénatrice. Natasha Akpoti-Uduaghan avait été condamnée à payer une amende de 5 millions de nairas (environ 2 760 euros) pour avoir enfreint une interdiction de s’exprimer publiquement sur l’affaire. Par ailleurs, le procureur général et le ministre de la Justice ont déposé une plainte contre l’élue, le 16 mai, pour «diffamation» envers Akpabio. Elle avait affirmé que le président du Sénat et l’ancien gouverneur de l’Etat de Kogi, dont elle est représentante, avaient tenté de l’assassiner. Mais sa combativité et son sang-froid ont fait d’elle une figure respectée de la cause féministe au Nigeria.

«Dans la grammaire politique nigériane, où les femmes sont souvent écartées car jugées trop émotives ou inaptes à diriger, le témoignage affectif est discrédité, rappelle la revue nigériane The Republic. […] Quand la loi est contre vous, vous vous faites entendre plus fort. Quand le Sénat ferme ses portes, vous en ouvrez d’autres. Le combat de Akpoti-Uduaghan ne concerne pas seulement une femme. Il s’agit de l’architecture du silence et de la manière de le détruire, brique par brique, jusqu’à être entendue. »