Les médias nigérians ont-ils développé une accoutumance à la violence ? Au moins 70 personnes ont été tuées, dimanche 6 juillet, dans l’Etat de Plateau, et le massacre n’a fait la une d’aucun quotidien national. Le scénario est, il est vrai, tragiquement banal. Un groupe de «bandits», surarmés, a tendu une embuscade à une milice villageoise lancée à leur poursuite. Depuis des années, l’Etat de Plateau, dans le centre du pays, est devenu l’épicentre de ces violences, alimentées par la criminalité rurale, les conflits fonciers et les tensions communautaires.
L’affrontement a éclaté vers 1 heure de l’après-midi aux abords du village de Kukawa, selon un responsable local, interrogé par le Daily Post : «La milice d’autodéfense se dirigeait vers un repaire de bandits situé dans une réserve naturelle, connue sous le nom de Madam Forest, raconte-t-il. Les miliciens ont été submergés par les bandits, qui portaient des armes de qualité supérieure. Nous avons enterré plus de 70 personnes rien qu’à Kukawa, mais il est probable que d’autres corps soient retrouvés de part et d’autre.» La Croix-Rouge affirme avoir pris en charge 40 corps.
Paradoxe
Quelques heures auparavant, ces miliciens, venus d’un village voisin, avaient mené un raid sur Kukawa : «A notre grande surprise, ils ont commencé à frapper des habitants innocents, vandaliser des magasins, voler des téléphones et des motos, a témoigné le même responsable. Ils nous accusaient de cacher les bandits. Nous leur avons dit qu’ils se trouvaient dans la forêt. Ils se sont alors dirigés vers la forêt, et vingt minutes plus tard, nous avons entendu des coups de feu.»
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Paradoxe nigérian : les miliciens, aussi appelés groupes d’autodéfense, ont été créés pour lutter contre l’insécurité – notamment les kidnappings dont les bandits se sont fait une spécialité. Mais ils sont devenus à leur tour une source de violences. «Les villageois se sont eux-mêmes organisés, de manière informelle, pour défendre leurs propriétés, leurs familles, leurs communautés. L’impuissance de l’Etat nigérian ne leur laissait pas d’autre choix, explique Yahuza Getso, expert du cabinet d’analyse Eagle Integrated Security. Les gouvernements locaux les tolèrent, et les encouragent même la plupart du temps. La police, l’armée collaborent avec eux, notamment pour obtenir des renseignements.»
En juin, des miliciens soutenus par les forces de sécurité avaient tué plus de 100 bandits lors d’une fusillade dans l’Etat de Zamfara, dans le nord-ouest. Mais leurs actes de justice expéditive, et leurs accrochages avec les groupes d’éleveurs nomades – accusés de complicité avec les bandits, qui recrutent largement au sein de la communauté des bergers peuls – ont parfois «envenimé la situation», estime Yahuza Getso. Le cycle des représailles entraînant les zones rurales, abandonnées par l’Etat central, dans une spirale sanglante.