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Libération
Burkina Faso

Au procès Sankara, le général Diendéré bataille avec les fantômes

Libé Afriquedossier
Principal accusé présent pour ce procès historique, l’ancien responsable de la sécurité des chefs de la révolution burkinabè s’est montré combatif à la barre.
Le général Diendéré, au tribunal militaire de Ouagadougou, le 9 novembre. (Sophie Garcia. Hans Lucas)
publié le 10 novembre 2021 à 10h41

Gilbert Diendéré n’est pas un accusé comme les autres. Quand il déplie son mètre 90 à l’appel du président de la chambre de première instance du parquet militaire de Ouagadougou, mardi, au onzième jour du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons, c’est pour marcher d’un pas sûr vers la barre. Comme ravi que son tour vienne enfin. Altier, athlétique, béret rouge et treillis léopard – marque du Régiment de sécurité présidentielle que ce général a dirigé de 1995 à 2015 –, une dizaine de pochettes multicolores sous le bras, il se met au garde-à-vous. «Je me tiendrai debout pour répondre à vos questions», répond-il au président Urbain Méda, habitué jusque-là à voir des accusés âgés, parfois souffrants, ne pas se faire prier pour s’asseoir.

«Vous êtes accusé d’avoir, le 15 octobre 1987, atteint à la sûreté de l’Etat, avec Blaise Compaoré [numéro 2 du Conseil national de la révolution de 1983 à 1987 et président du Burkina Faso de 1987 à 2014, jugé par contumace, ndlr] et Hyacinthe Kafando [chef de la sécurité de Blaise Compaoré au moment des faits, en fuite] par la force des armes», commence le président, avant de dérouler les trois autres chefs d’accusation : «complicité d’assassinat», «recel de cadavres», «subornation de témoins». «Je plaide non coupable», annonce Diendéré, mains sur la barre. Avant d’introduire sa version des faits par des condoléances aux familles des victimes. Au sixième rang de la salle bondée, la famille Sankara ne cille pas.

«Intoxication et zizanie»

Le matin du 15 octobre 1987, Gilbert Diendéré organisait, dit-il, une rencontre entre les gardes rapprochées de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré au Conseil de l’entente, devenu en 1983 le siège du pouvoir révolutionnaire, et placé sous son commandement. La réunion visait à déminer les tensions entre les deux camps. Des tracts de plus en plus nauséabonds circulaient à Ouagadougou. Sankara y était dépeint par ses détracteurs comme un «déséquilibré mental qui mène le pays à la ruine», comparé à Hitler ou Bokassa. Et Compaoré, comme un «schizophrène» atteint de «pulsions névrotiques sexuelles». «Cette intoxication pouvait créer la zizanie au Conseil national de la révolution», dit Diendéré.

Vers 16h30, il affirme qu’il s’entraînait physiquement, comme tous les jeudis, jour du «sport de masse» sous la révolution, à l’Ecole nationale de la magistrature, contiguë au site du Conseil de l’entente. Des tirs nourris y résonnent. Diendéré accourt. Devant le bâtiment où Thomas Sankara avait installé son secrétariat particulier gisent une dizaine de corps. A quelques mètres, sous un manguier, il aurait aperçu deux éléments de la sécurité de Blaise Compaoré. «Ils expliquent que Sankara voulait arrêter Blaise, et qu’ils ont décidé de prendre les devants. Je leur demande où est Blaise, s’il est au courant, ils disent qu’ils s’en foutent.» Blaise Compaoré arrive à son tour sur les lieux du crime vers 18 h 30, selon son récit.

Le président Méda est circonspect. Diendéré est alors chef de corps adjoint du célèbre Centre national d’opération commando (CNEC) de Pô, dans le sud du pays. Comment une telle attaque a-t-elle pu produire dans un lieu si surveillé ? Pourquoi ne pas avoir interpellé les assaillants ? Le général riposte qu’il n’était pas armé, «n’avait pas assez d’éléments», ne savait plus «qui est qui». «Je n’ai jamais envisagé une action de ce genre au Conseil. On se préparait aux attaques extérieures, pas intérieures.» «Mais on vous surnommait la Boîte noire [Diendéré passait pour l’homme le mieux renseigné du pays] ! Vous n’aviez pas entendu parler de rumeurs d’arrestation contre Thomas Sankara ?» La voix posée du général s’échauffe : «Boîte noire, ça date du crash de l’avion d’Air Algérie en 2014, c’est moi qui l’ai identifié. Ce n’était pas en 1987.»

«Gros mensonge»

Le substitut du procureur, Arsène Sanou, insiste sur «les fondements de la rumeur» selon laquelle Sankara aurait prévu d’arrêter Blaise Compaoré ce même 15 octobre, à 20 heures. Un «gros mensonge», selon le dossier d’instruction, censé justifier l’intervention du commando que Diendéré aurait favorisée sur le terrain. L’accusé se réfère alors méticuleusement aux pièces du dossier. Nuance, précise, recadre. Il n’y a soudain pas meilleur avocat de Diendéré que lui-même. De la maison d’arrêt et de correction des armées, où il purge une peine de prison dans l’affaire du putsch manqué de septembre 2015, il a potassé le dossier. Sanou s’agace, pointe un «manque de respect».

Son confrère Becaye Sawadogo prend le relais. Il revient notamment sur le témoignage d’Elysée Ilboudo, entendu les 27 et 28 octobre. Chauffeur du commando le jour de l’assassinat, il a concédé avoir vu Gilbert Diendéré «sous un hangar en train de discuter avec des hommes», en pénétrant au Conseil. «Je préférerais que tous les témoins qui disent m’avoir vu à divers endroits [avant le crime] passent en même temps», suggère l’accusé. Le point fait débat. Becaye Sawadogo ronge son frein. «Je suis prêt depuis longtemps, je vous attends», lui lance Diendéré. Ce mercredi, ce sera au tour des avocats des parties civiles et de la défense d’interroger Gilbert Diendéré.