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Libération
Reportage

Au Sénégal, la quasi-totalité des candidats dit niet au «dialogue» proposé par le président Macky Sall

Quarante-huit heures après l’appel du chef de l’Etat à un dialogue pour décider d’une nouvelle date pour le scrutin présidentiel, la société civile a refusé les modalités de la concertation et manifeste à Dakar pour faire pression sur l’exécutif.
Le président sénégalais Macky Sall à Paris, en juin 2023. (Lewis Joly/Reuters)
par Théo du Couëdic (correspondance à Dakar, Sénégal)
publié le 24 février 2024 à 21h30

«A défaut d’interdire nos manifestations, ils font tout pour casser le rythme, nous n’avons reçu l’autorisation de la préfecture qu’hier [vendredi], à minuit passé», rumine Moussa Touré, secrétaire de la plateforme de la société civile F24, au milieu de plusieurs centaines de personnes drapées des couleurs du Sénégal, samedi 24 février à Dakar. Si F24 a été initialement créée en avril dernier pour faire obstacle à un troisième mandat de Macky Sall, il était question ce samedi, sur ce terrain vague du quartier Grand Yoff de la capitale sénégalaise, de mettre la pression sur le président sortant pour organiser au plus vite le scrutin présidentiel. «Dans son interview face à la presse, jeudi soir, Macky Sall a appelé à un dialogue qui n’a pas de sens, en laissant la porte ouverte à des candidats retoqués par le Conseil constitutionnel. Mais personne ne veut rebattre les cartes, nous voulons juste fixer une date d’élection le plus vite possible.»

Un peu plus loin, l’opposant Leumine Ndiaye, un maillot des Lions sur le dos, affirme ne rater aucun des événements organisés par la société civile. «Je relaye tous ces événements aux 200 000 personnes qui me suivent sur X, quand ton pays va mal, c’est un devoir de préserver la démocratie», explique ce chargé de communication dans le numérique, la voix couverte par des «Sonko, Namenaka» («Sonko, tu nous manques»), ou des «Macky, assassin», scandés par des groupes de manifestants.

«Un faux dialogue»

Ce dimanche, Leumine Ndiaye entend bien se rendre à son bureau de vote pour exercer son droit de vote de manière symbolique puisque le scrutin prévu ce 25 février a été repoussé par Macky Sall qui a fini, jeudi, par appeler à des «concertations nationales». Mardi, l’opposant participera à une «journée ville morte», organisée par Aar Sunu Election, un autre mouvement de la société civile. L’objectif : maintenir la pression sur l’exécutif pour arrêter une date de scrutin le plus rapidement possible. «Il existe beaucoup de collectifs mais il n’y a pas encore de consensus pour concentrer nos forces», regrette-t-il.

Le FC25 – un front de 16 candidats à l’élection présidentielle sur les 19 validés par le Conseil constitutionnel – a lui aussi rejeté d’un bloc l’appel de Macky Sall au dialogue et à la concertation. Au lendemain de l’interview du président par la presse nationale, ils ont organisé une conférence de presse offensive.

Vendredi, face à un parterre de journalistes qui tenaient comme par miracle dans une salle exiguë, la candidate et cheffe d’entreprise Anta Babacar Ngom a rejeté «catégoriquement le faux dialogue proposé par le président», le qualifiant «d’insulte à l’intelligence du peuple». «Le seul dialogue possible, c’est celui avec les candidats validés par le Conseil constitutionnel», affirmait de son côté le candidat Mame Boye Diao. Même son de cloche de la part d’Amadou Ba, le mandataire du candidat de l’ex-Pastef, Bassirou Diomaye Faye, qui remplace Ousmane Sonko, déclaré inéligible : «Le dialogue voulu par le président n’a aucun fondement légal ou politique, le président est en train d’organiser l’ingouvernabilité du pays». Escortés par leurs gardes du corps, les candidats ont ensuite quitté les lieux dans un concert de 4x4 aux vitres teintées.

Incertitudes et libérations

Mais alors avec qui Macky Sall va-t-il discuter pour enfin déterminer la date et les modalités de la présidentielle qu’il a lui-même annulée trois semaines plus tôt ? Avec les trois candidats restants qui ne siègent pas au FC25 ? Le Premier ministre Amadou Ba, choisi par le Président, qui n’a eu de cesse d’être contesté par ses alliés ; le dissident et ancien ministre Aly Ngouille Ndiaye ; ou encore l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, qui semble s’être enfermé depuis plusieurs semaines dans un certain mutisme ? Il y a également l’entourage de Karim Wade, le fils de l’ancien président du Sénégal, actuellement au Qatar, qui ne décolère pas depuis que sa candidature a été invalidée, à la dernière seconde, par le Conseil constitutionnel, pour cause de double nationalité franco-sénégalaise. Sans oublier les autorités religieuses.

Samedi, le pays reste dans l’incertitude, malgré l’apparente volonté d’apaisement du président. Ce dernier n’a d’ailleurs pas fermé la porte à une libération prochaine des opposants Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, actuellement emprisonnés à la prison de Cap Manuel, à l’extrémité de la presqu’île du Cap-Vert.