Les images sont horribles et ont largement circulé sur les réseaux sociaux ces derniers jours au Sénégal. On y voit plusieurs centaines de personnes, en cercle, s’agitant autour d’un feu. Au milieu du brasier, gît la dépouille d’un homme, présenté comme homosexuel, dont le cadavre a été déterré pour être brûlé.
La justice sénégalaise a ouvert une enquête après l’exhumation du cadavre d’un homme enterré dans un cimetière de Kaolack, dans le sud du Sénégal, avant d’être traîné et brûlé par «des hommes non identifiés» samedi soir, a annoncé dimanche le procureur de la République. «Ces actes d’une extrême gravité, relevant de la barbarie, interpellent les autorités et ne peuvent rester impunis. Une enquête est ouverte afin d’identifier les auteurs et engager contre eux des poursuites pénales», écrit le procureur, cité dans un communiqué.
Analyse
Quatre personnes soupçonnées de «faire partie des commanditaires» ont été arrêtées lundi 30 octobre à Kaolack, selon un responsable local de la police, sans donner plus de détails.
L’autorité judiciaire n’a pas donné de précisions sur la dépouille qui avait été enterrée vendredi, à quelque 200 km au sud-est de Dakar, mais selon plusieurs médias locaux, le corps a été exhumé car il serait celui d’un homosexuel. Après sa mort la semaine dernière, les proches du défunt avaient cherché à l’enterrer dans la ville sainte de Touba, à environ deux heures de route, mais des informations sur son orientation sexuelle auraient fuité ce qui avait provoqué un refus d’inhumer. Les proches avaient alors tenté d’enterrer le jeune homme près de sa maison. Opposition du voisinage cette fois. Jusqu’à ce qu’on lui prépare une sépulture à Kaolack et que la rumeur sur son orientation sexuelle s’y propage aussi.
Pays ouvertement homophobe
L’histoire choque au Sénégal. La radio RFM, très écoutée, a parlé lundi d’une «onde de choc». Amnesty International Sénégal, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme et la Ligue sénégalaise des droits humains ont «condamné vigoureusement cet acte qui porte atteinte à la dignité du défunt et de sa famille» dans un communiqué.
Bien que très rare, l’exhumation d’un corps d’une personne présentée comme homosexuelle n’est pas une première au Sénégal. En 2008 et 2009, au moins deux cas avaient été documentés dans le centre et l’ouest du pays. Le romancier sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021, évoque aussi une scène similaire dans son roman De purs hommes. Dans ce pays musulman à plus de 90 % et très pratiquant, l’homosexualité est largement considérée comme une «déviance». La loi y réprime d’un emprisonnement d’un à cinq ans les actes dits «contre nature avec un individu de son sexe».
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L’acceptation de l’homosexualité est très faible, perçue comme allant à l’encontre de la culture nationale. Elle est décriée comme un instrument de l’Occident pour imposer ses valeurs. Elle suscite régulièrement des manifestations pour un durcissement de la loi.
Plusieurs chefs religieux ont néanmoins dénoncé les faits survenus à Kaolack. Serigne Cheikh Tidiane Khalifa Niasse, plus haut responsable d’une branche locale de l’influente confrérie musulmane des Tidianes, a exprimé sa «profonde indignation et (sa) condamnation catégorique de l’acte répréhensible qui a été commis à l’encontre d’un individu dont nous n’avons aucune responsabilité sur sa vie privée». «Cet acte ne peut en aucun cas être justifié ou toléré», a-t-il dit dans un communiqué.
Des homosexuels fuient le pays
Un responsable du collectif «And Samm Jikko Yi» (Ensemble pour la sauvegarde des valeurs), qui lutte pour une criminalisation de l’homosexualité et un alourdissement des peines, a également condamné - du bout des lèvres - une «justice populaire» qui est «regrettable». Avant de l’imputer à l’Etat qui donnerait, selon eux, l’impression aux Sénégalais de trop protéger les homosexuels.
En décembre 2021, le collectif avait déposé une proposition de loi qui aurait puni l’homosexualité d’une peine de cinq à dix ans de prison. Le texte a été rejeté par le bureau de l’Assemblée nationale qui a estimé la législation existante assez sévère.
Des homosexuels se plaignent d’une montée des agressions et des propos homophobes ces dernières années. Ils assurent qu’un certain nombre a quitté le pays pour échapper aux discriminations. En 2021 et 2022, des milliers de personnes avaient manifesté à Dakar pour réclamer un renforcement de la répression de l’homosexualité.