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Alternance

Au Sénégal, le président Diomaye Faye nomme son mentor Ousmane Sonko Premier ministre

Elu triomphalement deux semaines après sa sortie de prison, le jeune opposant a prêté serment ce mardi 2 avril. Quelques heures plus tard, il a nommé le leader de son parti Premier ministre.
Diomaye Faye, au centre fait un geste à côté d'Ousmane Sonko (G), chef de file de l'opposition sénégalaise, alors qu'ils saluent la foule de partisans rassemblée au stade Caroline Faye de Mbour, le 22 mars 2024, pour le meeting de clôture de la campagne présidentielle. (Marco Longari/AFP)
publié le 2 avril 2024 à 17h04
(mis à jour le 3 avril 2024 à 9h35)

Le cinquième président du Sénégal a 44 ans. Il est à la fois le plus jeune président de l’histoire du pays, et le plus jeune chef d’Etat élu du continent. Ce mardi, Bassirou Diomaye Faye a prêté serment devant des centaines d’officiels sénégalais et plusieurs dirigeants africains invités au centre des expositions de Diamniadio, la ville nouvelle sortie de terre sous le mandat de son prédécesseur, Macky Sall. «Cela tient presque du miracle, a commenté le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, en introduction à la cérémonie d’investiture. Sauf à relever que nos institutions, loin d’être en crise, tiennent debout dans le cadre de la Constitution, expression la plus achevée de la volonté populaire.» Une référence à la profonde crise politique qu’a traversée le pays dans les semaines précédant le scrutin, dont le Sénégal est finalement sorti par le haut. L’élection présidentielle a été organisée dans les temps, dimanche 24 mars, son déroulement a été irréprochable, et personne n’en a contesté les résultats : l’opposant Bassirou Diomaye Faye a remporté 54,28 % des suffrages exprimés.

Mardi, le nouveau président a prononcé un bref discours de remerciements, lisant ses notes de sa voix légèrement perchée : «L’Etat de droit a été secoué par moments, mais il est toujours debout», a rappelé le candidat du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), sous les yeux de son mentor, le leader du mouvement, Ousmane Sonko, sorti de prison le même jour que lui, le 14 mars - dans la soirée, il en a fait son Premier ministre. «Les résultats sortis des urnes expriment un profond désir de changement systémique, a insisté Bassirou Diomaye Faye. Le Sénégal sous mon magistère sera un pays d’espérance, un pays apaisé avec une justice indépendante et une démocratie renforcée. Telle est ma promesse.»

Symbole de réconciliation

Dans l’après-midi, il s’est rendu au palais présidentiel pour la passation de pouvoir. Macky Sall, 62 ans, l’attendait sur le perron, tout de blanc vêtu, au bout du tapis rouge. Symbole fort de réconciliation nationale. Bassirou Diomaye Faye et Macky Sall se sont embrassés, tête contre tête. Ils incarnent deux générations de dirigeants sénégalais qui se sont affrontés pendant trois ans, parfois violemment. La crise ouverte entre le Pastef et le pouvoir a fait plus de 60 morts. Bassirou Diomaye Faye a passé onze mois en prison, sans jamais être jugé. Finalement, Macky Sall a perdu la bataille dans les urnes : son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Ba, a recueilli seulement 35,79 % des voix. Le président sortant a immédiatement félicité Bassirou Diomaye Faye pour sa victoire.

«Ce que Macky n’a jamais compris, c’est que nous n’attendons pas des ponts, des échangeurs, des stades, mais un nouveau type de dirigeant. Nous voulons plus d’éthique, plus de rigueur, un président qui gouverne vertueusement, qui lutte contre la corruption, contre le clientélisme politique», explique Idrissa Ndaw, 63 ans, en se balançant sur les deux pieds de sa chaise en bois. Le vendeur de pneus, installé à l’angle de la Grande Mosquée de Dakar, surveille d’un œil le travail de ses apprentis. «Diomaye et Sonko sont jeunes, il faut leur laisser un peu de temps pour réformer le pays, dit-il. Mais ils disent faire de la politique autrement, alors voyons s’ils respectent leurs engagements. Ça nous changera des autres présidents !»

Pendant leur campagne éclair, dans tout le pays, de jour comme de nuit, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ont attiré des foules spontanées et enthousiastes sur leur passage. Le soir du scrutin, le 24 mars, leurs supporteurs ont déferlé dans les rues de Dakar pour célébrer leur victoire historique. Aucun opposant n’avait jamais remporté une élection présidentielle dès le premier tour. Les deux leaders du Pastef ont promis «la rupture» avec l’élite politique, religieuse et économique traditionnelle sénégalaise. Les attentes de leurs électeurs seront à la mesure des espoirs qu’ils ont soulevés – immenses. Au risque de décevoir ?

«Les Sénégalais attendent beaucoup»

«Il va mettre fin à l’injustice, à la corruption et surtout donner du travail», veut croire Fallou Sidibé, 32 ans, vendeur ambulant au marché Petersen. Comme des dizaines de millier de jeunes Sénégalais, il rentre chez lui pour s’occuper de ses cultures durant l’hivernage et arpente les trottoirs de la capitale dix heures par jour – avec des piles de vêtements pour sa part – pendant la saison sèche. «Bassirou Diomaye Faye est différent des autres : il est jeune, il est modeste, il vient du monde rural, nos vécus sont les mêmes, dit-il. En priorité, il faut qu’il aide l’agriculture, avec des subventions pour les engrais et les semences, des forages et des systèmes d’irrigation.» Ousmane Sonko, nommé Premier ministre quelques heures après l’investiture de Bassirou Diomaye Faye, sera donc en première ligne pour mettre en œuvre le programme du Pastef.

«Les Sénégalais attendent beaucoup. Davantage que pour une alternance classique, reconnaît Jean-Charles Biagui, professeur de sciences politiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Pour aller vite et fort, Diomaye devrait dans un premier temps annoncer des changements symboliques. Il pourrait par exemple veiller à réduire le train de vie de l’Etat, baisser la masse salariale, fusionner certaines agences publiques, diminuer la taille du gouvernement. Son grand défi sera de casser les logiques de prédations institutionnalisées dans l’administration.»

En revanche, les réformes économiques et monétaires – le Pastef a fait campagne sur un agenda souverainiste – prendront davantage de temps, estime le politologue. «La question de la sortie du franc CFA, la renégociation des contrats avec les partenaires étrangers, la gestion de l’argent du pétrole et du gaz [dont l’exploitation doit débuter cette année, ndlr] sont des sujets complexes et sensibles, rappelle-t-il. Diomaye le sait et les Sénégalais devront être patients.» Le Président doit prononcer son premier discours à la nation ce mercredi 3 avril dans la soirée.

Article actualisé le 3 avril à 9h30 avec la nomination d’Ousmane Sonko comme Premier ministre.