Au Soudan, guerre, famine et climat forment une combinaison terriblement mortifère. «Le pays est marqué par l’une des pires crises que le monde ait connues depuis des décennies», a alerté Christos Christou, président international de Médecins sans frontières, jeudi 20 juin sur X (anciennement Twitter). Il s’alarme des «niveaux extrêmes de souffrance» provoqués par la guerre qui ravage le pays depuis plus d’un an et d’une «réponse humanitaire […] profondément inadéquate». Le patron des forces de défense soudanaises, le général Abdel Fattah al-Burhan, auteur d’un coup d’Etat en octobre 2021, s’oppose au général Mohamed Hamdan Dagalo, dit «Hemetti», son ancien allié, ex-numéro 2 du régime et leader des Forces de soutien rapide, une unité paramilitaire autonome qui refuse de rentrer dans le giron de l’armée nationale. Les affrontements entre ces deux forces ont fait des dizaines de milliers de morts depuis l’éclatement des hostilités, le 15 avril 2023.
Depuis cette date, diplomates et humanitaires ont, pour la plupart, fui le pays, et la population soudanaise se retrouve quasiment privée d’aide. Bien que les Etats-Unis aient débloqué vendredi 14 juin un paquet d’urgence de 315 millions de dollars, et malgré «quelques progrès ces dernières semaines», l’accès humanitaire, empêché par les combats, est très «insuffisant», a alerté mercredi 19 juin Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, dans un entretien à l’AFP.
La «plus grande crise de la faim au monde» depuis quarante ans
Sur plus de 48 millions de Soudanais, environ 18 millions souffrent aujourd’hui d’une insécurité alimentaire aiguë et 5 millions auraient atteint le «dernier palier avant la famine», selon un bilan de l’ONU dressé en avril. Cette guerre «pourrait créer la plus grande crise de la faim au monde» alertait déjà, en mars, le Programme alimentaire mondial (PAM) au Soudan. Dans la région la plus à l’ouest du pays, le Darfour, où vit un quart de la population, «il y a 78 % de nourriture en moins par rapport à l’année dernière», selon Eddie Rowe, directeur du PAM.
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Les terres agricoles, d’où des centaines d’agriculteurs ont été chassés, sont devenues largement inexploitables. La plupart des entreprises d’engrais et pesticides ont fermé et le système bancaire s’est effondré, privant les agriculteurs de la possibilité de transferts d’argent ou de prêts. Toutes les usines ont été détruites par les combats et bombardements, et l’import-export est quasiment au point mort : les routes menant au seul port national de taille, Port-Soudan, sont bloquées. L’Etat «dit avoir perdu 80 % de son budget», rapporte encore l’AFP.
«Nous avons vu des projections de mortalité selon lesquelles plus de 2,5 millions de personnes – environ 15 % de la population – au Darfour et au Kordofan, les régions les plus durement touchées, pourraient mourir d’ici la fin du mois de septembre», s’alarme Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies. Ce qui s’annonce comme «la plus grande crise humanitaire de la planète» pourrait atteindre un niveau jamais égalé depuis la famine qui avait fait plus d’un million de morts en Ethiopie, au milieu des années 80.
L’absence d’eau : le double poids de la guerre et du réchauffement climatique
Aux conséquences de la guerre, s’ajoutent celles du dérèglement climatique, qui soumet la population soudanaise à une alternance de périodes de pluies intenses et d’inondations, et de périodes de sécheresses drastiques. En l’absence de moyens de récupération et de stockage des eaux de pluie et de pompage des nappes phréatiques, l’eau est extrêmement rare. A Khartoum, la capitale, des quartiers entiers sont privés d’eau potable.
C’est là le deuxième problème : quand elle est accessible, l’eau est sale. Pannes de courant dans l’est du pays ou rupture des livraisons de carburant dans l’Ouest, dans les régions des combats : les stations d’épuration ont cessé de fonctionner. «Celle de Soba, qui approvisionne les très peuplés quartiers sud de Khartoum, est à l’arrêt», témoigne auprès de l’AFP un volontaire du «comité de résistance» local, ces groupes de quartier qui organisent l’entraide. Certains Soudanais se procurent par charrette, à prix d’or, une eau dont la qualité n’est pas vérifiée.
Conséquence de la guerre, 7,26 millions de personnes auraient été, depuis avril 2023, contraintes de fuir vers d’autres régions du pays, selon les chiffres donnés en juin par l’Organisation internationale pour les migrations. A ces déplacés internes, s’ajoutent ceux qui se sont réfugiés en Egypte, au Tchad et au Soudan du Sud. Plus de 500 000 Soudanais ont fui les violences vers le Tchad, selon l’ONU, quelque 560 000 au Soudan du Sud et 500 000 autres vers l’Egypte – sans doute beaucoup plus de manière «irrégulière», selon Amnesty.
«Une génération entière pourrait être détruite»
Parmi ces déplacés, des millions sont des enfants touchés par la famine, déscolarisés, enrôlés dans les milices ou mariés de force. Au Soudan, 42 % de la population a moins de 14 ans. Près de 3 millions de mineurs souffrent de malnutrition sévère : l’ONU a estimé en avril que 700 000 pourraient dépérir de faim cette année. Adam Regal, porte-parole de la coordination générale pour les réfugiés et déplacés du Darfour, raconte avoir vu mourir «des dizaines d’enfants», faute d’aides alimentaires suffisantes. Pour pouvoir permettre à certains de survivre, des parents «vendent» l’un d’entre eux contre des portions de nourriture, rapportent des associations soudanaises. Les usines de compléments nutritionnels pour enfants et de vaccins pour nouveau-nés ont été détruites, comme le reste de l’industrie, alors que partout dans le pays sévissent le choléra, la rougeole et le paludisme.
Les experts du Conseil des droits humains de l’ONU rapportent qu’au Darfour, notamment, ces mineurs, des jeunes filles en particulier, sont victimes de viols, d’enlèvements, de mariages forcés ou vendues. Les jeunes garçons et adolescents sont enrôlés et forcés de se battre par l’armée et les organisations paramilitaires. Dans un pays où, avant la guerre déjà, 70 % des élèves de 10 ans ne savaient pas lire et où «près de la moitié des enfants avaient un taux de retard de croissance de 40 %», selon l’ONU, l’organisation alerte qu’«une génération entière pourrait être détruite».