Arrivés dans des dizaines de pick-up, des paramilitaires ont ouvert le feu lundi sur des réfugiés à l’intérieur de leurs maisons et dans les rues, selon les secouristes du camp de Abou Shouk. Plus de 40 civils sont morts et au moins 19 ont été blessées sous les balles des Forces de soutien rapide (RSF), alors que les combats font toujours rage à El-Fasher, la dernière ville du Darfour encore contrôlée par l’armée régulière.
Depuis le début de la guerre le 15 avril 2023, des dizaines de milliers de civils sont morts, et plus de 13 millions ont été déplacés, selon l’ONU. El-Fasher, 2 millions d’habitants, accueille plusieurs camps de milliers de réfugiés qui ont fui d’abord le génocide au Darfour, puis la guerre civile. La ville est depuis seize mois l’épicentre des combats de la région, où les habitants vivent au rythme des bombardements et des tueries.
Cauchemar humanitaire
Un rapport du laboratoire humanitaire de l’université de Yale, qui a analysé des images satellites et des vidéos diffusées en ligne, raconte les contours de l’attaque des paramilitaires. Les chercheurs ont identifié plus de 40 véhicules débarquant dans les quartiers nord-ouest du camp de Abou Shouk, vers 11 heures, heure locale. Certaines vidéos montrent des soldats RSF «tirant sur des personnes s’éloignant d’eux en rampant, injuriant et proférant des insultes à caractère ethnique à leur encontre», précise le rapport. Les images analysées corroborent le récit du groupe de secours du camp, qui a annoncé à l’Agence France presse que les civils ont été «tués soit par des balles perdues, soit par des exécutions directes». L’armée régulière a annoncé avoir repoussé l’attaque sur les réseaux sociaux en montrant des prisonniers de guerre présumés des RSF, ce qui n’a pas pu être confirmé par Libération.
Le massacre témoigne de la stratégie de guerre choisie par les paramilitaires de Hemetti, qui n’arrivent toujours pas à conquérir la ville : le ciblage systématique des camps de réfugiés, souvent placés à l’extérieur de la ville et non défendus. Des massacres qui empirent le cauchemar humanitaire des habitants d’El-Fasher.
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Depuis seize mois, aucune aide humanitaire ne rentre dans la ville, dont tous les accès sont bloqués par les RSF. Un rapport de l’ONU du 5 août indique que les réserves alimentaires de la ville assiégée sont au plus bas, et que des habitants sont poussés à consommer du fourrage animal et des déchets alimentaires pour survivre.
La famine a officiellement été confirmée par l’ONU le 1er août 2024 dans le camp de Zamzam, au sud de la ville. Un an plus tard, le 10 août, un responsable du ministère de la Santé a indiqué à l’Agence France Presse qu’au moins 63 personnes étaient mortes de faim la semaine précédente à El-Fasher, dont «la plupart sont des enfants et des femmes». Un flou constant plane sur les chiffres de la malnutrition, vu que ce bilan ne concerne que les personnes mortes à l’hôpital.
Si le programme alimentaire de l’ONU continue à envoyer de l’argent aux civils de la ville, l’agence annonce que la hausse des prix rend cette stratégie inefficace. «A El-Fasher, les produits alimentaires de base comme le sorgho ou le blé, utilisés pour fabriquer des pains plats et des bouillies traditionnels, coûtent jusqu’à 460 % plus cher que dans le reste du Soudan, peut-on lire dans le rapport du World Food Programme. La population encore en vie n’a d’autre choix que de se débrouiller pour survivre avec les ressources limitées qui lui restent.»
«Escalade de la violence»
L’agence humanitaire de lutte contre la faim de l’ONU est sans équivoque concernant les crimes de guerres commis à El-Fasher : «Des infrastructures civiles, notamment des marchés et des cliniques, ont été attaquées. Nombre des familles qui ont réussi à fuir ont fait état d’une escalade de la violence, de pillages et d’agressions sexuelles.»
Depuis le début du siège de la ville, les RSF du général Hemetti utilisent la faim comme arme de guerre. Selon le groupe d’ONG Soudan INGO Forum, ces paramilitaires visent délibérément les camps réfugiés et leurs points d’accès à l’aide humanitaire et à la nourriture. En guerre avec l’armée régulière soudanaise depuis avril 2023, les Forces de soutien rapide avaient déjà été accusées de génocide et d’avoir systématiquement tué et violé des civils en raison de leur ethnie par le gouvernement des Etats-Unis le 7 janvier.
Le 11 avril 2025, les paramilitaires avaient déclenché une attaque massive sur le camp de réfugiés de Zamzam, ou vivent en grande majorité des femmes et des enfants. Des travailleurs humanitaires ont raconté des scènes d’horreur, où des cantines communautaires avaient été incendiées et des femmes bénévoles exécutées à l’intérieur. Une attaque parallèle contre un centre médical du camp aurait entraîné la mort de neuf travailleurs humanitaires soudanais. L’attaque avait tué «des centaines de personnes» selon l’ONU, plus de 1 500 selon une enquête du journal britannique The Guardian.
Mais les rescapés de l’enfer de Zamzam, Abou Chouk et d’El-Fasher ne sont pas hors de danger. Au camp de Tawila, au nord de la région, où nombre de réfugiés se sont retrouvés, une épidémie de choléra est en cours depuis juin. Selon un rapport de l’Unicef, plus de 640 000 enfants de moins de cinq ans sont menacés par cette maladie mortelle dans le seul Etat du Darfour-Nord.