Pour les médecins, le choléra est la maladie mortelle la plus rageante au monde : il suffit d’un accès à de l’eau potable pour l’éviter. Un accès refusé, aujourd’hui, à des centaines de milliers de Soudanais. «Ils font actuellement face à la pire épidémie de choléra que le pays ait connue depuis des années», alerte Médecins sans frontières dans un communiqué publié ce jeudi 14 août. Dans le camp de Tawila, dans la région du Darfour, les équipes de MSF ont soigné «plus de 2 300 patients et enregistré 40 décès la semaine dernière». Nombre de déplacés du camp, devenu le cœur de l’épidémie qui fait rage au Soudan depuis juillet 2024, ont fui les massacres répétés survenus à quelques dizaines de kilomètres, dans la ville d’El-Fasher.
Depuis un an, environ 100 000 cas ont été recensés à travers le pays, et le choléra se propage dans toutes les régions du Soudan, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé. La maladie diarrhéique, hautement transmissible, peut tuer en quelques heures une personne sans accès à un traitement.
Soigné par une simple réhydratation orale
«Dans les camps de déplacés ou de réfugiés, les familles n’ont souvent pas d’autre choix que de boire de l’eau contaminée, témoigne Sylvain Pénicaud, coordinateur de MSF à Tawila. Il y a deux semaines, un corps a été trouvé dans un puits. Deux jours après, les gens ont été obligés de boire à nouveau cette eau.» Le choléra se répand particulièrement dans les zones de conflit, où l’accès à l’eau propre est limité et où les populations sont fragilisées par la malnutrition. Les camps de déplacés de la guerre civile, qui oppose depuis avril 2023 l’armée régulière soudanaise aux paramilitaires des Forces de soutien rapide, accueillent parfois plus de 500 000 personnes – l’état de famine y avait été déclaré l’été dernier.
Selon MSF, l’accès à l’eau potable est le moyen principal de prévenir les épidémies de choléra – une ressource à laquelle nombre de Soudanais n’ont plus accès. «A Tawila, les habitants survivent avec une moyenne de seulement trois litres d’eau par jour, soit moins de la moitié du seuil minimum d’urgence de 7,5 litres par personne et par jour nécessaire», indique l’ONG dans son communiqué. Par comparaison, la consommation moyenne d’eau potable par jour en France est de 150 litres par habitant.
Le choléra peut être soigné rapidement par des professionnels de santé grâce à une simple réhydratation orale ou à des antibiotiques, mais la guerre civile rend ces traitements souvent inaccessibles. Les deux camps frappent régulièrement les hôpitaux, les marchés et les infrastructures civiles – les Forces de soutien rapide ont même mené des attaques sur les travailleurs humanitaires et les camps de réfugiés.
Le choléra traverse les frontières
Avec les 4 millions de réfugiés soudanais, la maladie s’est également répandue dans les pays voisins, notamment au Tchad et au Soudan du Sud. «Les réfugiés ont fui pour se mettre en sécurité. Le choléra les a suivis», explique un rapport de l’ONG DirectRelief. Depuis avril 2023, plus de 1,1 million de Soudanais ont traversé la frontière vers le Soudan du Sud, jouxtant la région du Darfour. «Lorsque des déplacements massifs de population se produisent, nous savons que le risque de transmission est plus élevé», explique Mary Alai, médecin pour l’ONG basée au Soudan du Sud. Dans de telles situations, «ce n’est qu’une question de temps avant que le choléra n’apparaisse», explique-t-elle.
L’épidémie au Soudan du Sud a, elle, été déclarée en octobre 2024, trois mois après celle du Soudan. En moins d’un an, le pays a recensé plus de 80 000 cas, dont 1 400 mortels, selon un rapport de l’ONU. La maladie a ensuite passé la frontière de l’Ethiopie voisine lorsqu’un autre conflit armé, au Soudan du Sud, a poussé les civils à l’exil. Là encore, la présence du choléra a rapidement été déclarée dans les camps de réfugiés côté éthiopien.
Au Tchad, le ministère de la Santé a, lui, déclaré l’état d’épidémie le 24 juillet dans la province du Ouaddaï, principal point d’accès des réfugiés du Darfour. Plus d’un million de Soudanais y vivent dans des camps de fortune, dans des conditions désastreuses, selon un rapport de l’ONG américaine Care. Celle-ci rappelle que de nombreuses organisations ont été contraintes de stopper leurs opérations en raison de coupes budgétaires – sans nommer la plus brutale d’entre elles : le démantèlement, par l’administration Trump, de la puissante agence humanitaire américaine USAid.