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Otage

Boualem Sansal emprisonné en Algérie : la grâce présidentielle de l’écrivain franco-algérien de plus en plus hypothétique

Selon la présidence algérienne, les prisonniers condamnés pour «atteinte à l’unité nationale» sont exclus des mesures de grâce présidentielle décrétées ce vendredi à l’occasion de la fête de l’indépendance. L’écrivain franco-algérien de 80 ans, au cœur de la brouille diplomatique entre Paris et Alger risque de rester en prison.
Boualem Sansal lors de la 62e édition de la Berlinale, le jeudi 9 février 2012. (Markus Schreiber/AP)
publié le 4 juillet 2025 à 19h25

Le destin de Boualem Sansal reposait entre les mains d’un seul homme : Abdelmadjid Tebboune. Le président algérien avait la possibilité, ce vendredi 4 juillet, de rendre la liberté à l’homme de lettres de 80 ans en lui accordant une grâce – une tradition bien ancrée à la veille des célébrations de l’indépendance de l’Algérie. Il aurait donc décidé de ne pas le faire. Selon le communiqué de la présidence algérienne consulté par Libération, la grâce ne concerne pas les détenus définitivement condamnés pour «atteinte à l’unité nationale», comme c’est le cas de l’écrivain, incarcéré depuis plus de sept mois pour ce chef d’inculpation, dont la peine a été confirmée en appel mardi 1er juillet. Après cette date, Sansal avait huit jours pour introduire un recours en Cassation. Ce samedi 5 juillet, la présidente du comité de soutien international à l’écrivain franco-algérien, Noëlle Lenoir, a néanmoins affirmé sur France Inter que «d’après nos informations, il ne fera pas de pourvoi en Cassation». Le journaliste français Christophe Gleizes, condamné pour «apologie du terrorisme», ne figure pas non plus parmi les graciés.

Le refus d’une grâce présidentielle ferait l’effet d’un coup de tonnerre, tant pour Boualem Sansal et ses soutiens que pour les autorités françaises, qui espéraient une issue favorable dans ce dossier hautement sensible, sur fond de tensions diplomatiques déjà aiguës entre Paris et Alger. Agé de 80 ans et atteint d’un cancer de la prostate, Boualem Sansal est incarcéré dans la sinistre prison de Koléa depuis son arrestation à l’aéroport d’Alger, le 16 novembre. En cause : des déclarations controversées quelques mois plus tôt dans un entretien au média d’extrême droite Frontières, dans lequel le romancier affirmait que l’Algérie avait hérité, sous la colonisation française, de territoires auparavant marocains.

Une ligne rouge pour le pouvoir algérien, qui lui reprochait par ailleurs d’avoir envoyé des messages compromettant sur WhatsApp à propos des institutions et l’armée. S’en est suivie une longue descente aux enfers judiciaire. L’homme de lettres a été condamné une première fois, le 27 mars, à cinq ans de prison, notamment pour «atteinte à l’unité nationale», avant de faire appel de ce jugement. Cette peine a néanmoins été confirmée le 1er juillet après des réquisitions plus lourdes encore du parquet, qui avait réclamé dix ans de réclusion.

Il reste un dernier espoir à Boualem Sansal : une potentielle grâce individuelle, décrétée pour raison médicale, qui peut intervenir à tout moment. A Paris, les diplomates vont donc désormais devoir redoubler d’efforts pour obtenir la libération non pas d’un, mais de deux ressortissants français : Sansal et Gleizes.

«Otage»

Pour une partie des observateurs, notamment à droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique français, Boualem Sansal est perçu comme un «otage» des tensions entre Paris et Alger. Depuis l’été dernier, les relations entre les deux pays sont plombées par une crise inédite, déclenchée par la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – un territoire revendiqué par Rabat mais soutenu par Alger à travers le mouvement indépendantiste du Front Polisario. De nombreuses personnalités politiques, ainsi que ses éditeurs, ses avocats et son comité de soutien se sont ainsi démenés pendant des mois pour obtenir la libération de l’écrivain. L’affaire est montée jusqu’au sommet de l’Etat, Emmanuel Macron ayant exhorté à plusieurs reprises son homologue algérien à accomplir un «geste humanitaire» en faveur de Boualem Sansal. Le 3 juillet, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a lui aussi accentué la pression, évoquant un «choix de la responsabilité, de l’humanité et du respect» que les autorités algériennes devaient, selon lui, saisir «sans délai».

L’Algérie a donc choisi l’option du pire et décidé de laisser une figure de la littérature francophone contemporaine croupir en prison. Depuis l’arrestation de Boualem Sansal, le régime n’a cessé de maintenir une position de fermeté à son égard, insistant sur le respect de la souveraineté algérienne dans ce dossier. Fin décembre, le président Tebboune l’avait qualifié d’«imposteur envoyé par la France», avant de rappeler que l’essayiste, naturalisé français en 2024, était «d’abord algérien depuis soixante-quatorze ans» – son âge est sujet à débat. Une attitude intransigeante qui a conduit les autorités françaises à privilégier, ces dernières semaines, une stratégie de discrétion maximale, en rupture avec la ligne dure défendue par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, partisan d’une «riposte graduée» face à Alger. En vain.

«Immense déception»

En refusant de gracier Boualem Sansal, Abdelmadjid Tebboune envoie un message sans équivoque : l’Algérie refuse de céder aux pressions de son ancienne puissance coloniale, quitte à provoquer une rupture profonde et durable des relations bilatérales, déjà très fragiles. D’autant qu’Alger prend aussi le risque que le romancier, âgé et malade, termine ses jours en détention – un scénario qui serait impardonnable aux yeux de Paris. Réagissant à cette décision, une source française exprime une «immense déception et un sentiment d’occasion manquée», déplorant un «signal très négatif» envoyé depuis l’autre rive de la Méditerranée. Les liens entre les deux pays sont pourtant indéfectibles : des millions de familles franco-algériennes partagent une histoire commune, tandis que la France reste l’un des principaux partenaires économiques et commerciaux de l’Algérie.

Mise à jour à 12 h 59 avec le non-pourvoi en Cassation de Boualem Sansal.