Ce lundi 27 octobre, c’est donc le président sortant au pouvoir depuis quarante-trois ans, Paul Biya, qui a été proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel avec un score de 53,66 % des voix, à l’issue de l’élection présidentielle qui s’est tenue le 12 octobre. Devant Issa Tchiroma, un ancien ministre en rupture de ban qui aurait récolté 35,19 % des voix. Des résultats conformes à ceux de la commission nationale de recensement des votes, qui, mercredi, donnait le président sortant en tête avec 53,6 % des voix, contre 35,1 % pour son principal challenger. Le Conseil constitutionnel, chargé de valider officiellement le vote, avait d’abord prévu de proclamer les résultats définitifs dès le lendemain jeudi. Avant de reporter, sans raison officielle, cette annonce à ce lundi.
Le climat particulier qui règne dans le pays n’est peut-être pas étranger à ce report. Quelques jours après le scrutin, Issa Tchiroma a lui aussi revendiqué la victoire, en publiant sur sa page Facebook les procès-verbaux à sa disposition et en dénonçant des irrégularités qui auraient été orchestrées par le camp présidentiel. Or, sa capacité de mobilisation n’est plus à prouver.
Manifestations massives
Sans attendre la validation par le Conseil constitutionnel – dont dix des onze membres sont issus du parti présidentiel –, des manifestations souvent massives se sont déroulées dimanche 26 octobre à travers tout le pays, à l’appel de l’opposant.
De Yaoundé, la capitale administrative, jusqu’à Douala, la capitale économique, en passant par Garoua, principale ville du nord et fief de l’opposant, Maroua, la ville voisine, Ngaoundéré dans la province Adamaoua, ou encore Bafoussam, à l’ouest, la foule a massivement investi la rue. Parfois, sous le regard passif des forces de l’ordre. Parfois au prix de violents affrontements comme dans le quartier de Nkolouloun et à New Bell, deux quartiers populaires à Douala, où quatre manifestants ont perdu la vie sous les tirs des forces de police, visiblement débordées. Au total, ce sont sept personnes qui auraient perdu la vie au cours de cette journée violente au Cameroun.
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Mais en réalité, des manifestations se sont régulièrement déroulées dans tout le pays depuis le scrutin. Notamment pour dénoncer des irrégularités supposées, ou un bourrage d’urnes découvert sur le vif. Comme l’attestent de nombreuses vidéos publiées sur les réseaux sociaux qui contribueront à amplifier un sentiment de colère, perceptible dans tout le pays.
Des bâtiments ont été brûlés, comme à Dschang dans l’ouest où la maison du parti présidentiel a été incendiée le 15 octobre. Et des affrontements sporadiques ont eu lieu avec les forces de l’ordre. Plusieurs arrestations ont suivi, comme à Maroua dans le nord, où une cinquantaine de personnes auraient été interpellées mi-octobre.
Faux procès-verbaux
Mais ce n’est qu’en fin de semaine dernière que ces interpellations ont visé des proches collaborateurs de Tchiroma. Vendredi, ce sont ainsi les deux dirigeants de l’Union pour le changement, la plateforme politique qui l’avait désigné comme le «candidat consensuel» de l’opposition, qui ont été arrêtés à Doula. Djeukam Tchameni et Anicet Ekane avaient joué un rôle essentiel pour promouvoir Tchiroma en tête des onze candidats en lice face à Biya.
Ils sont désormais détenus, sans aucune procédure légale, après avoir été transférés à Yaoundé. Des photos ont ensuite été publiées affirmant qu’un véritable arsenal militaire, de l’argent liquide et même de faux procès-verbaux auraient été retrouvés au domicile d’Anicet Ekane. Suscitant une certaine incrédulité dans les rangs des opposants. Samedi, c’est dans la capitale qu’a été arrêté à son tour un universitaire réputé, Aba’a Oyono, qui lui aussi avait apporté un soutien remarqué à l’opposant.
Tchiroma lui-même n’a pas été inquiété pour l’instant. Mais il a assuré avoir été menacé d’une tentative d’enlèvement dans la nuit de samedi à dimanche. Il est certes plus difficile de l’atteindre, alors qu’il se trouve non pas dans sa résidence à Yaoundé, mais dans celle de Garoua, sa ville d’origine dans le nord du pays. Le jour du vote, alors qu’il rentrait chez lui, les forces de l’ordre ont bien tenté de l’isoler de la foule de sympathisants qui l’escortaient jusqu’à son domicile, et le protègent. Mais les militaires ont dû rebrousser chemin. Depuis, il reste chez lui, protégé par un imposant dispositif de jeunes militants qui veillent jour et nuit devant sa résidence depuis laquelle il lance régulièrement des appels à la mobilisation, via des vidéos postées sur Facebook.
Ras-le-bol d’une population exsangue
Au palais d’Etoudi – la forteresse qui abrite la présidence en bordure de Yaoundé –, cette élection, censée offrir un huitième mandat de sept ans à un président âgé de 92 ans, a pourtant longtemps semblé gagnée d’avance. Le seul concurrent sérieux, Maurice Kamto, qui était le challenger de Biya lors des précédentes présidentielles en 2018, avait vu sa candidature invalidée en août par le Conseil constitutionnel.
Qui aurait pu croire qu’un ancien ministre de 76 ans, qui avait rompu in extremis avec le régime fin juin, pourrait susciter le moindre engouement auprès des huit millions d’électeurs camerounais ?
C’était sans compter sur le ras-le-bol d’une population exsangue, dont plus des deux tiers ont moins de trente ans, et n’ont donc connu que Biya au pouvoir. «Mieux vaut le diable que Biya», justifiaient auprès de Libération les Camerounais croisés lors d’un meeting de Tchiroma à Bafoussam dans l’ouest du pays. Ce jour-là, une foule immense applaudissait le candidat. La même affluence record sera observée lors des autres meetings de l’opposant. Un contraste avec la campagne du président sortant. Lequel ne tiendra qu’un seul meeting à Maroua dans le nord. Les autorités locales avaient mobilisé des lycéens pour chanter les louanges du Président ? C’est le nom de Tchiroma que ces enfants vont oser scander devant le parterre d’officiels.
«En politique, on dit parfois : “Si on te voit venir tu n’arriveras jamais. Et si tu es arrivé, c’est qu’on ne t’a pas vu venir.”», glissera malicieusement lors de son meeting à l’ouest le champion d’une opposition pourtant divisée qui a créé la surprise générale, en rassemblant sous son nom le mécontentement général.
Mais avec l’annonce des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel, le bras de fer ne fait que commencer. Les prochains jours seront décisifs pour l’avenir du Cameroun. Les ambassadeurs de l’Union européenne, accrédités dans le pays, ont décidé eux de ne pas être présents lors de la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel.