A ce stade, ce n’est qu’un premier pas : une investigation préliminaire, pour déterminer «s’il existe une base raisonnable» pour l’ouverture d’une véritable enquête qui, «si elle est confirmée pourrait déboucher sur des mandats d’arrêt dans un délai de deux à cinq ans», rappelle un avocat familier des procédures de la Cour pénale internationale (CPI) sous couvert d’anonymat.
Le temps de la justice internationale est forcément long, alors que l’urgence de la crise dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) devrait inciter à agir rapidement. Coïncidence du calendrier : ce jeudi, le jour même où Karim Kahn, le procureur de la CPI, annonçait avoir répondu positivement à la saisine de l’Etat congolais, l’Organisation internationale des migrations (OIM) publiait un communiqué particulièrement alarmiste sur la situation sécuritaire du pays. Dénonçant «une recrudescence des attaques contre les civils par des groupes armées non étatiques», l’OIM déplorait l’augmentation vertigineuse des déplacés internes, «plus d’un million depuis janvier», estimant qu’il y avait désormais «6,1 millions» de civils chassés de leurs foyers, soit «une augmentation de 17% par rapport à octobre 2022».
Tous ces déplacés ne sont pas concentrés dans l’est du pays. Mais l’OIM a clairement mentionné le drame récent qui s’est produit le 11 juin dans un camp de déplacés en Ituri, l’une des trois provinces de l’Est : «Cette récente attaque horrible témoigne des dangers intolérables auxquels les personnes déplacées en RDC sont confrontés quotidiennement», souligne le même communiqué.
Le groupe du M23 dans le viseur
En principe, la province de l’Ituri ne fait pas partie du champ des premières investigations de la CPI, qui répond à une demande des autorités congolaises ne concernant que la province du Nord Kivu. Mais dans son communiqué, le procureur a rappelé qu’il existait déjà une enquête ouverte en 2004, visant cette fois l’ensemble de l’est du pays, et qu’il aviserait le cas échéant si les deux «situations» sont «suffisamment liées (pour constituer) une seule et même situation». L’enquête pourrait alors être élargie aux autres provinces.
Les autorités congolaises se sont félicitées de l’annonce de cette enquête préliminaire, qu’elle avait demandé. Karim Kahn s’était d’ailleurs rendu à Kinshasa et dans le Nord-Kivu en mai à leur invitation. Aux yeux du gouvernement congolais, c’est bien sûr le groupe rebelle du M23, accusé d’être soutenu par le Rwanda voisin, qui devrait être la principale cible des enquêteurs. D’autant plus qu’il vient d’être à nouveau accusé par l’ONG Human Rights Watch de viols et d’exécutions sommaires. Mais là encore le procureur semble prudent. Soulignant que ses équipes seront chargées de déterminer les crimes de «forces et de groupes armées particuliers». Ce qui pourrait viser certes le rôle de l’armée rwandaise mais aussi celui des forces congolaises qui ont récemment admis dans leurs rangs, en tant que «réservistes», des membres de nombreux autres groupes armés qui sévissent depuis longtemps dans la région. Et dont les crimes ont également été répertoriés par les experts de l’ONU.
Les enquêteurs pourront-ils se rendre dans toute la zone concernée alors que l’insécurité règne dans plusieurs parties de cette région gangrenée par la violence depuis près de trente ans ? C’est la première question qui s’impose. La suite, sera un long processus qui n’enrayera pas dans l’immédiat la poursuite des souffrances et des périls vécus par la population locale.