Mardi, toute la presse ivoirienne s’est soudain prise de passion pour l’info people. Comme si Abidjan, la capitale économique, avait été ensorcelée par une Mimi Marchand tropicale : «Laurent-Simone : c’est fini !» annonçait ainsi en grandes lettres bicolores le quotidien le Patriote, avec un sous-titre aguicheur : «L’origine de la haine de Gbagbo pour son épouse.» De son côté, la Voie soulignait, également en une : «Crise au sein du couple Gbagbo : Laurent et Simone ne regardent plus dans la même direction.» Ce même jour, l’Expression osait, de son côté, un «Gbagbo-Simone : la guerre totale !»
«Aucun commentaire»
Bigre, ces mêmes titres aux opinions militantes bien tranchées nous avaient habitués à des slogans plus politiques. Mais voilà, jeudi, l’ex-président Laurent Gbagbo, aujourd’hui âgé de 76 ans, est rentré au pays, après dix ans d’absence, définitivement acquitté en mars par la Cour Pénale Internationale (CPI). Et ses premiers gestes étaient observés avec attention.
Certains se demandaient s’il allait se prononcer sur la situation du pays, dirigé depuis son arrestation en 2001 par son éternel rival, l’actuel président Alassane Ouattara. Ou bien s’il allait adopter la posture du vieux sage, prônant une réconciliation restée incertaine, dix ans après la fin de la guerre civile.
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Or contre toute attente, la première salve de Gbagbo après son retour, ce sera ce mail, envoyé lundi par son avocat, à toute la presse locale et internationale, dont Libération : «Monsieur Laurent Gbagbo annonce qu’en raison du refus réitéré depuis des années de Dame Simone Ehivet de consentir à une séparation à l’amiable […], il s’est résolu à saisir ce jour le juge des affaires matrimoniales du Tribunal de première instance d’Abidjan d’une demande de divorce. Cette annonce ne sera suivie d’aucun commentaire.»
Hargne des hommes en armes
Pour les «commentaires», l’opinion s’en est chargée. D’autant que les termes choisis, «refus réitéré de consentir à une séparation», plantait le décor idéal pour une inflation de commérages et de spéculations.
Déjà jeudi, le jour du retour de Gbagbo, les couacs n’avaient pas manqué dans l’organisation du comité d’accueil à l’aéroport d’Abidjan. Avant même que l’avion n’atterrisse, on apprenait que la présence de Simone, ex-première dame et toujours officiellement mariée au héros du jour, n’était «pas souhaitée». Elle, qui fut une figure politique incontournable, notamment entre 2000 et 2010, quand Gbagbo était président ! Au cours de cette période mouvementée de l’histoire du pays, on considérait généralement que cette fille de gendarme à la silhouette imposante, devenue députée du quartier populaire d’Abobo à Abidjan, faisait partie des «durs», tout en restant très populaire. Jusqu’à ce 11 avril 2011 qui marque l’issue d’une crise post-électorale sanglante. Ce jour-là, Simone est encore aux côtés de Laurent. A l’issue de violents combats, tous deux sont arrêtés par les rebelles fidèles à Ouattara. Mais c’est surtout sur elle que se déchaînera la hargne des hommes en armes, qui lui arrachent brutalement une partie de ses tresses.
Signes d’un malaise palpable
Et donc, dix ans plus tard, on prie cette femme de 71 ans de rester à l’écart des retrouvailles qui soldent définitivement ce calvaire ? Elle ne l’entend pas ainsi.
Peu après avoir été déclarée persona non grata, la voilà qui diffuse aussitôt une vidéo, agrémentée d’une musique aux accents lyriques. Toute souriante, elle évoque le retour de son «époux», censé marquer un tournant historique. Et son intention de se rendre, elle aussi, à l’aéroport. Dans l’incroyable chaos de la bousculade qui accompagne l’arrivée de Gbagbo à Abidjan, les portables enregistrent, eux, les signes d’un malaise palpable.
Simone se faufile près de Gbagbo. Il ne semble pas très enthousiaste, derrière son masque. Et surtout, il y a cette voix féminine juste derrière l’ex-président qui ordonne très distinctement : «Qu’elle le salue et qu’elle parte.» Elle, c’est l’autre femme, la rivale. Nadiana Bamba, dite «Nady». Un temps journaliste, âgée aujourd’hui de 47 ans, elle a été aux côtés de l’ex-président pendant toute la détention du prisonnier de la CPI, à La Haye.
Et même bien avant. Car Gbagbo l’épouse dès 2001, lors d’un mariage traditionnel, selon les rites malinké. Sans divorcer de Simone. Et pendant les dix ans au cours desquels il dirige le pays, se joue alors un étrange ménage à trois, où selon les périodes domine l’une des deux femmes. Nady dirige la communication des campagnes électorales, elle est discrète mais déjà certainement influente. Même à cette époque, son existence n’est pas un secret.
Vaudeville tragique
Certes, Simone reste officiellement l’épouse officielle. Un destin politique commun soude le couple depuis leur rencontre en 1972. Ils étaient alors déjà mariés chacun de leur côté, ils sont très engagés à gauche, syndicalement et politiquement, dans un pays alors sous le règne du parti unique. Maintes fois arrêtés, tabassés, harcelés, ils fondent, en 1982, dans la clandestinité, un parti d’opposition : Le Front populaire ivoirien (FPI), qui sera légalisé en 1990.
Un an plus tôt, ils se marient et auront deux filles, des jumelles. Gbagbo avait déjà un fils. Simone, déjà trois filles. Une vraie famille recomposée, qui accompagnera la longue lutte pour l’accession au pouvoir en 2000.
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Après la chute de Laurent en 2011, Simone sera elle aussi emprisonnée dans le nord du pays. La CPI la réclame également, mais Ouattara refuse. Jugée en Côte d’Ivoire, en 2014 et en 2017, elle y sera acquittée de crimes contre l’humanité lors du second procès, mais condamnée à vingt ans d’emprisonnement lors du premier. Puis finalement amnistiée en 2018.
Depuis, elle vit dans la grande maison du couple, dont elle affirmait encore en février rafraîchir les peintures dans l’attente de l’illustre époux. Lui a choisi de s’installer chez Nady, dès son arrivée jeudi à Abidjan. Le vaudeville peut sembler tragique, surtout pour l’épouse officielle, qui avait déjà dû encaisser la naissance du fils de Nady et de Gbagbo, aujourd’hui âgé de 19 ans. Mais il a aussi des implications politiques.
Ferveur religieuse messianique
Avant même d’annoncer son intention de divorcer, pas vraiment à l’amiable, Gbagbo a fait un autre geste qui aurait dû attirer l’attention : la veille, dimanche, il a créé la surprise en se rendant, pour sa première sortie en ville, à la messe de la cathédrale d’Abidjan. Affichant ainsi son intention de se rallier au catholicisme. Et donc de rompre avec l’évangélisme protestant qu’il avait embrassé avec Simone, à la fin des années 90. Le couple était alors sous l’influence d’un prédicateur qui les aurait convaincus de leur invincibilité mystique. Simone a renforcé cette ferveur religieuse messianique pendant ses années d’incarcération. Visiblement Laurent, désormais uni à une musulmane, s’en est détaché.
Au-delà de ces trajectoires spirituelles divergentes, c’est aussi l’héritage du FPI qui est en jeu. Gbagbo en est la figure tutélaire incontestée. Mais Simone est toujours la vice-présidente du parti. L’épouse délaissée sera-t-elle tentée de jouer de son aura de fondatrice du mouvement pour se donner un nouveau rôle ? Ou bien, se maintiendra-t-elle dans le rôle de fervente adepte du pardon ? Posture que sa foi renouvelée en détention l’a conduite à défendre jusqu’à présent ?
On le saura certainement lors de la «saison deux» de ce soap opéra qui se joue sur la lagune de la principale puissance économique d’Afrique de l’ouest francophone.